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Soldes Target : la bombe à retardement de l’euro

Les dettes et créances entre les banques centrales européennes, supposent des risques économiques et politiques associés aux soldes Target.

Soldes Target : la bombe à retardement de l’euro
Économie et Finance
Aug 6, 2024
Par 
Jean-Baptiste Villemur

À l’heure où ces lignes sont écrites, la Bundesbank est créditrice pour plus de mille milliards d’euros sur l’eurosystème, tandis que la Banque d’Italie, à l’inverse, est débitrice envers elle pour 520 milliards

Imaginez que, à la fin d’une vaste colocation au cours de laquelle l’argent a été mis en commun, les colocataires décident d’établir leurs comptes et de régler a posteriori ce que chacun doit à chacun des autres. Et imaginons que ces comptes disposent que certains doivent à d’autres une somme faramineuse dont il leur est strictement impossible de s’acquitter. Il est vraisemblable que les relations entre les anciens colocataires s’en trouveront profondément altérées, en dépit des serments d’amitié renouvelés à l’occasion de la séparation. On peut supposer que créanciers et débiteurs, établis désormais chacun de son côté, éviteront d’entrer en contact les uns avec les autres, et laisseront le temps et l’espace ensevelir la honte chez les uns et le ressentiment chez les autres.

Une solution serait bien entendu de prolonger la colocation… mais qui souhaiterait prolonger une telle expérience une fois les comptes établis ? Une fois les comptes établis, une seule conclusion s’impose à tous : cette cohabitation n’est pas viable, elle ne peut pas se prolonger sans qu’une partie soit affreusement lésée. Passé un certain seuil, chacun comprendra bien que le problème n’est pas seulement économique, il est existentiel.

Eh bien, telle est, en somme — mais en bien pire ! —, la situation où l’euro a plongé les pays de l’Union européenne, et en  particulier l’Allemagne et l’Italie. Le fonctionnement de l’euro suppose intrinsèquement un système de dettes et de créances entre banques centrales des pays membres de la BCE, et ces dettes et créances, connues sous la dénomination de « soldes Target » (du nom du système informatique de transfert de données en temps réel de banque à banque), sont additionnées jour après jour depuis le début de l’euro, il y a 25 ans.

À l’heure où ces lignes sont écrites, la Bundesbank est créditrice pour plus de mille milliards d’euros sur l’eurosystème, tandis que la Banque d’Italie, à l’inverse, est débitrice envers elle pour 520 milliards. Des sommes proprement astronomiques : à titre de comparaison, les réserves de la Banque d’Italie sont de 225 milliards d’euros. Cela signifie, en première approche, que la Bankitalia est redevable de plusieurs centaines de milliards d’euros à la Bundesbank. Bien entendu, tant que l’euro est maintenu, ou qu’aucun de ces deux pays ne quitte l’eurosystème, la somme à devoir reste virtuelle.

Néanmoins, on devine aisément les conséquences calamiteuses d’une telle situation. Les soldes Target créent entre l’Allemagne et l’Italie (qui représentent les deux extrêmes en même temps que deux poids lourds du système) un litige comptable qui ne peut pas ne pas avoir, en son temps, des répercussions politiques, quand bien même les conséquences économiques seraient étouffées. Quelle marge de manœuvre dans une négociation possède un pays dont la banque centrale doit à la banque centrale de l’autre quelque trois cents ou quatre cents milliards ? Inversement, à quoi est prêt le pays à la banque centrale dont cette somme est due pour recouvrer une partie au moins de cette somme ?

Ajoutons que ce litige se double d’un problème de politique intérieure dans chacun des pays, mais peut-être plus particulièrement en Allemagne : comment faire accepter à l’opinion allemande que leur Banque centrale se soit à ce point fourvoyée qu’elle se soit laissée flouer d’une somme aussi importante sans protester ? La Bundesbank jouit d’une respectabilité considérable dans son pays. Elle est l’un des socles de l’orgueil allemand, comme le fut le deutsche Mark, dont l’abandon ne fut consenti qu’à la condition que la gestion de l’euro égalerait en tous points la rigueur du sien. Or ces soldes target forment la preuve qu’il n’en fut rien, et que les Allemands ont troqué un Mark solide et une Bundesbank crédible pour une monnaie de singe et une Bundesbank obérée de créances pourries. Quelle sera la réaction des Allemands à cette révélation ? Le risque est élevé qu’ils perdent une nouvelle fois toute confiance dans leurs institutions.

Enfin, ce problème en entraîne un autre pour l’Allemagne, plus grave encore : puisque la Bankitalia est débitrice vis-à-vis de la Bundesbank, cela ne signifie-t-il pas que l’économie italienne a été financée par l’Allemagne ? Une connaissance plus approfondie du fonctionnement de l’euro conduit en effet à la conclusion suivante : l’excédent commercial allemand envers la zone euro est en réalité financé par la Bundesbank. Le prix de l’euro pour l’Allemagne est que la différence des taux de change dans ses échanges commerciaux avec ses partenaires, neutralisée par le PEG de un pour un qui définit intrinsèquement l’euro, est couvert intégralement par la Bundesbank, moyennant sa consignation, reportée de jour en jour, dans les soldes Target. Ce que traduisent les soldes Target au point de vue allemand n’est rien d’autre que le prix à payer pour exporter sans contrainte vers les autres pays de la zone euro. Une fois de plus : comment les Allemands réagiront-ils à cette découverte ?

Le problème des soldes Target est hélas largement sous-documenté en France. Et les rares économistes ou vulgarisateurs conscients de la difficulté ont malheureusement tendance à adopter à ce sujet un point de vue exclusivement comptable, et dépourvu de tout fondement juridique comme de tout réalisme politique.

Une analyse politique sérieuse se doit pourtant de réserver son attention à l’hypothèse du pire, qui ici est aussi la plus crédible. Les soldes Target ne sont pas une simple vue de l’esprit, une complication comptable de tableau noir que l’on pourrait effacer d’un coup de manche. D’abord, leur définition n’est pas sujette à interprétation, les guidelines de la BCE sont limpides à ce sujet (v. son article 6) : tout règlement passant par TARGET-2 crée automatiquement une dette entre payeur et payé. Ce qui implique que tout membre qui en sortirait devrait acquitter immédiatement et en totalité l’ensemble de ce qu’il doit au reste de l’eurosystème au titre des soldes Target.

Ensuite cette position de principe a été confirmée par le précédent président de la BCE, Mario Draghi, à deux reprises et dans les deux sens. Tout d’abord auprès de parlementaires italiens, inquiets de la question, puis, de façon plus implicite, auprès d’un élu néerlandais (Thierry Baudet), lors d’une audition parlementaire aux Pays-Bas. Tout membre qui quitte la zone euro doit régler immédiatement ce qu’il doit au système, ou recevoir immédiatement ce que celui-ci lui doit. Or, s’il ne s’en acquitte pas, c’est aux banques de l’eurosystème d’endosser les pertes.

Dans l’hypothèse d’une sortie de l’Italie, qui ne pourra jamais s’acquitter de la totalité de ce qu’elle doit, la Banque de France courrait le risque d’endosser pour près d’un quart de la somme, soit 130 milliards d’euros…

La France a donc un intérêt vital à quitter l’euro avant que l’Italie ne le fasse, ou que l’euro n’explose de lui-même, comme certains l’appellent de leurs vœux. Les soldes Target représentent une bombe à retardement suspendue au-dessus de l’Europe, qui nous impose de réfléchir enfin à une solution nationale de retrait de l’euro.

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