La « bataille des terres » ukrainiennes déjà résolue à l’amiable ?

La recherche d’une issue au conflit russo-ukrainien ne semble constituer qu’un enjeu secondaire .

La « bataille des terres » ukrainiennes déjà résolue à l’amiable ?
World
Feb 27, 2025
Par 
Philippe Béchade

Et si la véritable issue du conflit ne se jouait pas sur le champ de bataille, mais dans les coulisses d’un accord économique inattendu ? Les médias occidentaux sont en boucle depuis une semaine sur le deal concernant les terres rares que Donald Trump tente de conclure avec Volodymyr Zelensky (qui a tourné au fiasco ce vendredi 28 février) pour mettre un terme au conflit russo-ukrainien. Mais si les intentions de Donald Trump sont claires, la façon dont ce deal aurait remporté l’assentiment de Vladimir Poutine n’a pratiquement pas été évoquée. Dans une récente interview, le président russe a exprimé sa volonté de coopérer avec les Etats-Unis dans le domaine des terres rares. Qu’est-ce que cache cette proposition qui semble tomber du ciel pour Donald Trump ?

Cela semble « trop facile », alors que la situation reste éminemment complexe : BlackRock et JPMorgan, qui ont été désignés par la Maison-Blanche du temps de l’administration Biden pour financer et reconstruire l’Ukraine, font forcément partie de l’équation, et cela semble être couvert par une véritable omerta de la part des médias occidentaux. Que la Russie ait pour but d’apaiser les tensions et de recréer des liens économiques avec les Etats-Unis, tandis que l’Europe prépare un 17e paquet de sanctions, paraît aller de soi. Mais pourquoi Trump se montrerait-il aussi conciliant face à un Poutine qui a plus d’un tour dans son sac ? Parce qu’il pense qu’un joueur de poker est capable de retourner à son avantage n’importe quelle situation grâce à un coup de pression sur un adversaire qui réfléchit avec la rigueur d’un joueur d’échec.

La recherche d’une issue au conflit russo-ukrainien ne semble constituer qu’un enjeu secondaire (la guerre prendra fin d’une manière ou d’une autre, aucune guerre ne dure éternellement) car les relations commerciales s’inscrivent dans le temps long : pour les Etats-Unis, les guerres ont souvent un parfum de pétrole (Koweit, Irak, Libye), parfois d’opium (Afghanistan) et systématiquement de domination mondiale. Cette domination passe aujourd’hui par la sécurisation des ressources qui confèrent aux Etats-Unis un avantage technologique et militaire, que lui conteste aujourd’hui la Chine (avec DeepSeek, les « Tokamaks », l’informatique quantique, etc.).

L’intelligence artificielle générative, la fusion nucléaire (qui implique le confinement magnétique de plasmas portés à plusieurs dizaines de millions de degrés), les ordinateurs quantiques nécessitent tous l’usages de métaux aux propriétés physiques quasi surnaturelles (supraconductivité, résistance hors norme à la chaleur, à l’abrasion, etc.). Ces composants sont indispensables dans la microélectronique, les systèmes d’armes, les moteurs de fusée (gourmands en Le tungstène et de molybdène), les IRM, les émetteurs, les réacteurs nucléaires, les alternateurs d’éoliennes (le néodyme) et des centaines d’autres applications qu’il serait trop long d’énumérer.

Les terres rares sont en réalité très abondantes sur Terre ; ce qui est rare, ce sont les gisements dont la teneur en métaux critiques valent d’être exploités. Vladimir Poutine a rappelé que la Russie dispose d’énormes réserves de ces métaux dans plusieurs endroits – du nord du pays à l’Extrême-Orient, la région d’Irkoutsk, la Yakoutie, la Touva et la Kabardino-Balkarie. Mais suite à la dislocation de l’empire soviétique au début des années 1990, les mines et les installations de traitement ont été laissées à l’abandon, certaines détruites. Néanmoins, la Russie dispose de minerai en quantité suffisante pour alimenter l’industrie pour les 300 prochaines années.

La Chine s’est assuré un quasi-monopole des technologies pour le traitement des terres rares, mais elle reste une grosse importatrice : la Russie saurait pouvoir à tous ses besoins, mais Pékin ne veut pas dépendre d’un seul fournisseur (c’est l’une des nombreuses erreurs majeures commises par l’Europe en matière de batteries, de composants d’éoliennes, de panneaux photovoltaïques). L’Europe pourrait rapidement disposer de technologies de raffinage, mais ne dispose pas de ressources… et des lobbys écologistes puissants sont capables de retarder l’exploitation durant une décennie. Les Etats-Unis, un pays immense, recèle certainement des terres rares en quantité, mais ce serait tellement pratique d’en importer d’un pays où elles sont moins coûteuses à extraire et à raffiner : l’Ukraine semble cocher toutes les cases, mais les réserves annoncées par Zelensky sont-elles à la hauteur de ses estimations ?

La Russie apparaît plus « crédible » et c’est un fournisseur « fiable » : même en pleine guerre avec l’Ukraine, elle a continué de fournir du gaz, et a même soigneusement évité d’endommager les gazoducs qui ravitaillent la Hongrie, la Slovaquie, la Pologne. Les Etats-Unis et la Russie pourraient s’entendre pour priver l’Union européenne de l’accès aux ressources stratégiques, plaçant nos pays dans une situation de dépendance vis-à-vis de la Chine (c’est déjà le cas) et demain des Etats-Unis, puisque Ursula von der Leyen, qui ne veut à aucun prix commercer avec la Russie, propose chaque mois de nouvelles sanctions et pousse à la guerre.

Mais comment fera l’Europe qui subit les conséquences économiques de la perte des sources d’énergie russes, si elle est aussi privée d’accès aux terres rares ? Il est également possible que ce genre de pénurie accélère la désintégration de l’OTAN si les Etats-Unis décident d’empêcher l’Europe de développer son industrie de l’armement, faute de matières premières adéquates. Les Etats-Unis, en accord avec la Russie, pourraient contrôler ce dont l’Europe peut disposer, pérennisant sa situation de dépendance vis-à-vis du complexe militaro-industriel américain. Faute de disposer des moyens nécessaires pour mener des guerres telles que l’Europe l’envisage désormais, l’OTAN sous sa forme actuelle pourrait disparaître.

Signe que Moscou et Washington s’inscrivent dans logique de collaboration – sur le dos des Européens –, le chef du Pentagone a ordonné au Cyber Command américain de cesser toutes les activités contre la Russie, y compris les opérations cybernétiques offensives (selon le magazine géostratégique Record). On imagine facilement que Poutine applique des directives réciproques de non-agression envers les Etats-Unis, alors qu’elles se multiplient contre l’Europe ! Ce pourrait-il que la mise en exploitation des terres rares ukrainiennes – partie « Kiev » et partie « Oblasts de l’Est » – passe par une co-entreprise américano-russe où l’on retrouverait les acteurs déjà impliqués dans la reconstruction de ce pays ?

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