Les stablecoins de nouvelle génération ne sont pas simplement des outils financiers innovants
La récente tribune publiée dans le Financial Times (Letter: Banks and fintechs will be outcompeted by stablecoins https://www.ft.com/content/69834e24-2b94-491f-8655-dd77f6f76aaf) et la réponse de Sveinn Valfells, co-fondateur de Monerium (https://www.linkedin.com/posts/egilsson_letter-banks-and-fintechs-will-be-outcompeted-activity-7305844837616898048-pcKz), mérite une attention particulière non pas tant pour ce qu'elle dit, mais pour ce qu'elle révèle des profondes mutations géoéconomiques en cours. Lorsque l'un des acteurs majeurs du traitement des paiements comme Stripe qualifie les stablecoins de technologie rendant "les mouvements d'argent moins chers et plus rapides", tout en étant "globalement disponibles, open-source et programmables", nous assistons à une reconnaissance implicite d'un changement de paradigme monétaire aux conséquences géopolitiques considérables.
Derrière l'apparente neutralité technique du débat se cache une réalité plus complexe. Les stablecoins de nouvelle génération ne sont pas simplement des outils financiers innovants, mais de véritables vecteurs de reconfiguration des rapports de force internationaux. À l'heure où les sanctions économiques constituent l'arme privilégiée des puissances occidentales, l'émergence d'infrastructures financières alternatives, fonctionnelles et reconnues par les institutions européennes représente un changement tectonique dans l'architecture financière mondiale.
La comparaison avec Napster proposée par Valfells est particulièrement révélatrice : les premiers stablecoins, comme les premières plateformes de partage musical, n'étaient que des prototypes imparfaits d'une révolution à venir. Ce qui se profile aujourd'hui, c'est l'équivalent financier de Spotify ou Apple Music – une refonte complète de l'écosystème financier mondial qui ne demandera plus la permission aux intermédiaires traditionnels.
Pour les observateurs attentifs des dynamiques internationales, l'assimilation réglementaire des stablecoins à la monnaie électronique par la BCE, mentionnée dans la tribune, constitue un tournant. Cette reconnaissance officielle ouvre la voie à une désintermédiation bancaire à grande échelle, fragilisant un levier d'influence majeur des puissances occidentales : le contrôle des infrastructures financières internationales.
Les implications pour le système SWIFT, pour la domination du dollar et pour la capacité des États-Unis à projeter leur puissance économique sont considérables. Si les stablecoins deviennent effectivement les vecteurs privilégiés des transferts internationaux, c'est tout l'édifice de la suprématie financière occidentale qui pourrait être ébranlé.
Face à cette menace existentielle, plusieurs scénarios se dessinent :
Cooptation réglementaire : Les régulateurs occidentaux tenteront probablement d'intégrer ces nouveaux acteurs dans le cadre existant, préservant ainsi leur capacité de surveillance et de contrôle.
Contre-offensive technologique : L'accélération du développement des monnaies numériques de banque centrale (CBDC) constitue déjà une réponse directe à cette menace perçue.
Stratégie de containment : Des pressions diplomatiques et réglementaires pourraient être exercées sur les juridictions favorables aux stablecoins pour limiter leur expansion.
La position de l'Europe, prise entre son allié américain et son besoin d'autonomie stratégique, sera déterminante. En adoptant un cadre réglementaire favorable aux stablecoins, comme le suggère la reconnaissance par la BCE évoquée par Valfells, l'Europe pourrait se positionner comme un acteur indépendant dans la nouvelle architecture financière mondiale, réduisant sa dépendance aux infrastructures dominées par Washington.
Ce qui se joue actuellement va bien au-delà d'une simple optimisation technologique des paiements. Nous assistons aux prémices d'une reconfiguration profonde des rapports de force économiques mondiaux, dont les conséquences géopolitiques ne peuvent être sous-estimées.
La prédiction de Valfells selon laquelle "les banques et fintechs traditionnelles seront supplantées" pourrait bien s'étendre aux hégémonies financières établies. La question n'est plus de savoir si cette révolution aura lieu, mais comment les puissances établies y réagiront.
Christophe Camborde est entrepreneur dans le domaine des crypto-monnaies, il dirige un des rares exchange Français. Il est aussi actif dans le domaine de la finance décentralisée et particulièrement attentif à la souveraineté dans le domaine de la propriété privée des particuliers.