Le Liban en quête de renouveau : espoirs et défis d'un pays en crise

Entre effondrement monétaire, crise bancaire, corruption et instabilité politique, le pays tente aujourd'hui de se reconstruire.

Le Liban en quête de renouveau : espoirs et défis d'un pays en crise
World
Jan 9, 2025
Par 
Roula Merhej

Petit pays de 10 452 km², longtemps considéré comme l'un des centres économiques les plus dynamiques du Moyen-Orient, le Liban traverse depuis 2019 une crise sans précédent. Entre effondrement monétaire, crise bancaire, corruption et instabilité politique, le pays tente aujourd'hui de se reconstruire sous la houlette du président Joseph Aoun et du Premier ministre Nawaf Salam. Alors que le parlement a accordé sa confiance à ce nouveau gouvernement, une lueur d'espoir renaît. Quels sont les enjeux à venir ? Comment restaurer la confiance et relancer l'économie ? Pour répondre à ces questions, nous avons interrogé Nicolas Chammas, Secrétaire Général des Organismes Économiques Libanais et Président de l'Association des Commerçants de Beyrouth.

Comment expliquez-vous la crise actuelle que traverse le pays et quelle est la priorité économique du Liban aujourd'hui ?

"On ne peut pas parler aujourd'hui d'une seule priorité. Il faut avant tout instaurer un climat de confiance. La stabilité sécuritaire est essentielle pour rétablir cette confiance. La crise trouve son origine dans l'effondrement de 2019, qui était avant tout politique en raison des profondes divisions internes et des ingérences étrangères. Nous sommes passés d'une crise politique à une crise financière marquée par un déficit des comptes publics. L'accumulation de la dette a été la conséquence d'une incapacité à générer des recettes suffisantes, obligeant les institutions financières à emprunter à des taux toujours plus élevés. Cela a enclenché un cycle infernal de déficit et d'endettement, qui s'est traduit par une crise économique majeure.

Comment expliquez-vous la crise actuelle que traverse le pays et surtout quelle est la priorité économique du Liban aujourd’hui ?

« On ne peut pas parler aujourd’hui d’une seule priorité. Il faut avant tout instaurer un climat de confiance. La notion sécuritaire est essentielle pour que la confiance revienne. L’origine de cette crise qui est issue de l’effondrement de 2019 est tout d’abord politique à cause des très forts clivages et dissensions politiques ainsi que des ingérences continues de puissances étrangères. On est passé de la crise politique à la crise financière (déficit dans les comptes publics). Ces déficits ont mécaniquement entrainé une accumulation de la dette, les recettes étant insuffisantes pour couvrir toutes les dépenses, les institutions financières ont emprunté de l’argent à des taux de plus en plus élevés. En d’autres termes c’est un cycle du déficit-endettement. Une cascade infernale qui a commencé par une crise politique puis les finances publiques, par la question monétaire et pour finir avec l’économie. »

Comment s’est invitée la question monétaire ?

« La Banque Centrale a pensé qu’en l’absence de politique financière les politiques monétaires pouvaient pallier. La politique monétaire intervient à plus court terme. Il est plus facile d’intervenir monétairement que financièrement notamment avec des ingénieries financières ; augmenter ou baisser les taux…Cette politique doit être utilisée ponctuellement et non de façon récurrente. Au Liban, la politique monétaire a duré plus de dix ans. En l’utilisant trop longtemps, elle est donc devenue sans effet et couteuse. »

Face à cette situation s’est ajoutée la crise bancaire…

« Tout à fait. Rendez-vous compte que le Liban bénéficiait d’une solide confiance bancaire et les banquiers libanais reconnus dans le monde entier. Rappelons que lors de la grande crise de 2009 (Lehman Brothers), le Liban était un des rares pays à tirer son épingle du jeu. Le secteur bancaire étant connu pour sa solidité, le Liban avait reçu pendant cette période des dépôts en fuite par dizaines de milliards par an qui venaient se réfugier dans les banques libanaises. L’appellation du Liban comme étant « la Suisse du Moyen-Orient » était grâce à la reconnaissance de la solidité du secteur bancaire. Jusqu’à aujourd’hui les filiales des banques libanaises à l’étranger continuent de bien fonctionner, cela prouve bien que la faillite est due à l’État. La responsabilité première incombe à l’État. Actuellement, cette crise bancaire vient donc s’ajouter à un contexte de faillite, le tout faisant une crise carabinée comme on en voit très peu. La banque centrale intervenait pour financer l’État qui n’avait plus de ressources et l’argent a cessé de venir de l’étranger. La balance des paiements a commencé à devenir déficitaire, les ressortissants arabes ne se rendaient plus au Liban à cause de l’état sécuritaire, très exposé face au conflit syrien. »

Aujourd’hui avec la formation du nouveau gouvernement et un retour à un État de droit, comment sortir de ce cercle vicieux ?

« Des mois encore difficiles sont à prévoir mais il faut avant tout réinstaurer la confiance. L’immense majorité des Libanais est satisfaite par le déroulé institutionnel et le président bénéficie d’un grand capital de confiance. Le processus a été fait démocratiquement avec le quintette (désigne un groupe de cinq pays, les États- Unis, la France, l’Arabie Saoudite, l’Égypte et le Qatar) qui a veillé à ce que l’élection se fasse loin de toutes interférences étrangères. La confiance reviendra quand la restructuration financière et bancaire aura lieu. Néanmoins aujourd’hui après la guerre, cette restructuration passe en second plan face à l’urgence de la reconstruction du pays. Il y a deux mois, la Banque Mondiale a estimé les dégâts à 8 milliards et demi de dollars, ce chiffre a été fortement révisé à la hausse, on parle aujourd’hui de 14 milliards de dollars (entre destructions et pertes économiques) avec six régions du pays sur neuf qui ont été ravagées. D’autre part, il faut essayer de réfléchir d’une façon différenciée…Agrandir la taille de l’économie, inciter l’investissement dans des secteurs productifs, reprendre le chemin des exportations…Nous voyons un regain d’intérêt de certains pays du golfe à venir exploiter des terres agricoles. La visite du Président Joseph Aoun en Arabie Saoudite le lundi 3 mars 2025 sera déterminante puisqu’elle pourrait permettre de reprendre les exportations et de lever l’interdiction à ses ressortissants de revenir au Liban.

Peut-on comparer la situation Libanaise avec celle de la Grèce ?

« Au niveau de la Grèce, le cas était difficile mais il y avait la banque centrale européenne et les pays souverains européens qui ont avancé des montants faramineux à hauteur de 300 milliards d’euros. Il s’agissait avant tout de la préservation de l’Euro, à n’importe quel prix comme l’avait dit Mario Draghi. Dans le cas du Liban, nous ne disposons pas d’autres recours possibles, nous sommes dans un tête à tête mortifère avec le FMI et sans filet de sécurité. En avril 2022 a eu lieu un SLA (Staff-Level-Agreement) avec le FMI qui avait abouti à un accord préliminaire. Le Liban devait remplir les conditions dites afin d’accéder au financement. Le Liban n’a pas fait le nécessaire, trois ans après et les préconditions à peine entamées, on peut estimer que ce SLA est aujourd’hui caduc. L’équipe qui avait lancé les négociations avec le FMI était faible. Nous ne pouvons pas nous permettre de pénaliser les épargnants et de résilier les dépôts par dizaine de milliards de dollars, ça serait la fin de la crédibilité du Liban. »

Les négociations vont être difficiles avec le FMI…

« D’autres pays ont des moyens différents de financer l’activité économique. L’intermédiation bancaire constitue le tiers des financements. Un tiers avec les banques et les deux tiers à travers les marchés financiers. Au Liban les marchés financiers sont encore balbutiants, le financement de l’État et du secteur privé se fait exclusivement à travers les banques. Si le système bancaire ne se remet pas sur pied on ne pourra jamais rebâtir l’économie. Les banques ne sont pas là juste pour l’épargne mais également pour le crédit, tant qu’il n’y a pas de crédit il n’y a de reprises. Le FMI n’a pas voulu l’entendre lors des négociations en 2022. Nous pouvons et devons trouver d’autres solutions moins asphyxiantes pour le Liban. Il faudra une équipe de négociateurs plus ferme qui ne cèdera pas aussi facilement à des conditions susceptibles d’embourber le Liban plutôt que de le sauver. En tant qu’Organismes Économiques du Liban, nous devons avoir voix au chapitre. Nous devons être présents à la table des négociations étant donné que nous sommes les premiers utilisateurs du secteur bancaire. Notre premier objectif se doit de reconstituer l’épargne des déposants même si le FMI ne veut reconnaitre aucune dette antérieure. »  

Le président Argentin Javier Milei applique une politique de choc économique avec entre autres des coupes massives dans les dépenses publiques et une politique monétariste stricte. L’Argentine se redresse, les résultats sont sans équivoques. Le Liban pourrait-il mener le même genre de politique économique même si la réduction des dépenses publiques parait impossible ?

« Autant la réduction des dépenses publiques au Liban est nécessaire, autant elle est délicate à mener. La réforme ne pourra pas être décrétée et appliquée tambour battant comme en Argentine car la population est financièrement exsangue après la crise financière et monétaire, le COVID, l’explosion du port (4 août 2020) et la guerre. Il s’agit d’abord de faire repartir l’économie, d’améliorer les conditions de vie et de créer des emplois dans le secteur privé avant de commencer une opération de grande ampleur de réduction des dépenses publiques. »

Monsieur Chammas, la majorité des pays arabes sont en train de signer des accords de Paix avec Israël, dans le prolongement des accords d’Abraham. Comment voyez-vous cette continuité ?

« Il y a un armistice toujours en vigueur qui existe entre le Liban et Israël depuis 1949. Comme les responsables libanais, je préfère parler de cet armistice et de le remettre sur les rails afin de protéger et de donner tous les droits au Liban. »

Propos recueillis par Roula Merhej

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