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Etienne de Gail : “L’Occident, après cinq siècles d'une domination brutale et sans partage, se voit disputer le monopole de la puissance”

Analyse la montée du ressentiment global et les défis posés à l’ordre mondial occidental.

Etienne de Gail : “L’Occident, après cinq siècles d'une domination brutale et sans partage, se voit disputer le monopole de la puissance”
World
Aug 6, 2024
Par 
Étienne de Gail

Etienne de Gail est essayiste. Il travaille depuis plusieurs années au bureau d’Hubert Védrine dont il est l’un des plus proches collaborateurs. Tribune exclusive pour Géostratégie magazine.

À observer le monde en ce mois de février 2024, on ne peut que constater la menace d'un triomphe du ressentiment et de ses effets pervers. Quels que soient les crises et les pays sur lesquels se pose le regard, la jalousie, la conviction d'une offense à réparer ou d'un affront à laver, la volonté de puissance, le désir de revanche ou de vengeance sont partout. Ce qui est vrai à l'échelle individuelle l'est plus encore à celle collective, qui exacerbe les vexations et les ambitions.

Face à ces défis, l'ordre global unipolaire américain - qui a souvent été un désordre maîtrisé - bâti depuis 1945, concurrent de celui soviétique et déjà contesté avant la disparition de l'URSS il y a près de trente-cinq ans, n'a jamais été aussi dénigré et fragilisé. 

C'est que les États-Unis apparaissent aux yeux de tous comme le chef de file et le héraut d'un Occident qui, après cinq siècles d'une domination brutale et sans partage, se voit disputer le monopole de la puissance, des normes, de la richesse et du narratif. L'amenuisement de ce dernier est peut-être le plus périlleux pour les Occidentaux à l'ère du tout numérique et d'une défiance généralisée envers les anciens maîtres.

Affaiblir, dépasser ou vaincre l'Occident et son modèle semblent ainsi être devenus le mot d'ordre et le cri de rassemblement d'un Sud qui n'a de global que le nom, comme les désaccords et les déséquilibres en son sein - par exemple entre l'Inde et la Chine, ou l'Iran et son voisin saoudien - en témoignent. D'où la prolifération de discours révisionnistes sur le système international et l'hégémonie américaine, la remise en cause de frontières issues des décolonisations ou de l'éclatement d'empires disparus, et l'expression de griefs souvent instrumentalisés sur un passé qui ne passe pas.  

Ces discours conjuguent une rancune partagée bien réelle et l'opportunité historique de la désoccidentalisation du monde. Mais ils doivent être appréhendés avec recul, et non interprétés de façon manichéenne comme le signe d'une bataille planétaire entre démocraties et États autoritaires. D'abord, parce que les dirigeants despotiques sont opportunistes et saisissent toutes les occasions pour maximiser leurs intérêts dans la compétition mondiale ; ensuite, parce que leurs dissensions, voire leur rivalité, sont innombrables, ce qui tempère le fantasme d'une amicale autoritaire dont la raison de vivre et l'objectif premier serait la promotion de la tyrannie ; enfin, parce que ceux qui dénoncent l'existence d'une telle internationale autocratique se cachent bien souvent derrière cet épouvantail par peur inhibitrice et pour éviter d'avoir à penser la réinvention du modèle démocratique, qui ne pourra attirer à nouveau que par l'exemple et non par des condamnations stériles et perçues comme hypocrites.

Dans cette période de relativisation de la place de l'Occident dans le monde, il est plus que jamais nécessaire de prendre en compte les critiques légitimes et de bien mesurer le danger que peuvent incarner nos concurrents et adversaires. Sans pour autant en faire une guerre de civilisation qui, si elle n'est pas absente de leur rhétorique, recèle plutôt une valeur déclamatoire et stratégique visant à rassembler en interne et à diviser les opinions publiques des pays démocratiques. Et ce pour les éloigner de l'impératif fondamental à s'organiser pour continuer à rivaliser économiquement, industriellement, technologiquement, ainsi que sur le terrain des idées et de l'attraction.

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