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Insécurité, police désarmée, mauvais questionnements… Mise au point signée par Jacques Cardoze 

Critique des lacunes de la sécurité pénitentiaire en France.

Insécurité, police désarmée, mauvais questionnements… Mise au point signée par Jacques Cardoze 
Politique
Aug 6, 2024
Par 
Jacques Cardoze

Jacques Cardoze est journaliste. Au cours de sa carrière unique de grand reporter (Afghanistan, Irak, Liban…) ou encore de correspondant aux USA, il a fait des rencontres marquantes et a vécu des expériences spectaculaires. Il y a quelques semaines, c’est lui qui a diffusé au grand public les images captées par le système de vidéosurveillance montrant l'attaque du fourgon pénitentiaire d’Incarville. 

Passé, entre autres, par la direction de la communication de l’OM, Jacques Cardoze officie aujourd'hui sur C8, chaîne sur laquelle il a de nombreux projets…

Dans les heures qui suivent la terrible attaque du fourgon pénitentiaire d’Incarville dans l’Eure, je vais être confronté au dilemme de la diffusion d’images exclusives captées par le système de vidéo surveillance de l’autoroute. Une source vient en effet de m’envoyer l’intégralité de cette vidéo. Celle-ci va bientôt témoigner à la France entière de cette détermination sans faille dont les 5 membres du commando vont faire preuve et de l’incroyable violence qui en découle. Vous l’avez compris, après une heure d’échanges et de vérifications. Après avoir aussi proposé gratuitement ce matériel vidéo à plusieurs chaînes de télévision, je décide de diffuser ces images sans le moindre doute. D’abord parce que le cadrage des images ne peut porter atteinte à l’honneur des victimes qui ne sont jamais vues en plans rapprochés, ensuite parce que le devoir de la presse est toujours de rendre compte de la réalité aussi dure soit-elle, enfin parce que cette attaque fera date dans l’histoire des transports de prisonniers jugés dangereux. J’ajoute également que j’ai de bonnes raisons de penser que ce matériel n’entrave en rien le travail des enquêteurs déjà lancés depuis 6 heures à la poursuite de Mohammed Amra, ce baron de la drogue de la région normande désormais en liberté et lourdement armé. Car ce 14 mai, pris au piège entre une voiture bélier et une barrière autoroutière bloquée par des hommes très bien préparés et renseignés, deux agents de la pénitentiaire spécialisée dans le transfèrement de prisonnier vont perdre la vie.

3 minutes de stupéfaction. 3 minutes durant lesquelles une évidence saute aux yeux : il y a un gouffre entre les armes de guerre utilisée (des fusils d’assaut de type HK) par ceux qui ouvrent le feu et ces agents à qui l’état a confié la difficile mission de convoyer des délinquants au moyen d’armes de poings (des glocks 9 millimètres). Une disproportion évidente. 

Ces images montrent en fait un double décalage. Au-delà des armes, chacun aura pu remarquer que les véhicules chargés d’assurer la liaison entre le tribunal de Rouen et la prison d’Évreux ne disposaient ni de blindage ni de protection particulière et encore moins d’escorte. Rappelons qu’il existe pourtant au sein de la pénitentiaire une unité d’élite appelée les ERIS pour Équipes Régionales d’Interventions et de Sécurité. 11 groupes de 12 hommes disponibles 24 h/24 répartis sur tout le territoire. Mais le classement de niveau 3 sur 4 de Mohammed Amra n’autorisait pas l’appel à cette unité, nous dit-on... Passons sur cette erreur de jugement aux conséquences dramatiques, cette attaque meurtrière souligne combien il serait temps d’étudier sérieusement les moyens autrement plus efficaces dont disposent les mêmes spécialistes du convoyage aux Etats-Unis, au Mexique ou en Colombie. Là où l'État n’a d’autres choix que de mener la guerre aux trafiquants. 

Sur le réseau social X, ma décision va rapidement faire l’objet d’une polémique (ce qui est la raison d’être des réseaux sociaux) fallait-il diffuser ces images ? Un député de la majorité estimant même que je dois être signalé à la plateforme Pharos car la diffusion des images et des premières informations liées à cette spectaculaire évasion meurtrière entraverait selon lui l’enquête. 

Ainsi aujourd’hui en France, des députés de la république assument de vouloir bâillonner la presse, de faire obstacle à sa volonté de transparence. La polémique révèle la difficulté de certains à vouloir regarder la réalité en face : Désormais la France est rattrapée par les techniques sud-américaines des barons de la drogue. Il n’y aurait rien de surprenant à voir ces chefs de réseaux utiliser demain un hélicoptère, des yachts ou d’autres moyens sophistiqués qui leur permettrait de conserver un train d’avance sur les moyens de la police. Et pourquoi pas une prise d’otage de surveillants ? De leur famille ? D’un directeur de prison ? C’est dans la direction du pire qu’il faut regarder pour tenter d’éviter de nouveaux drames. 

Lorsque l’on sait que le chiffre d’affaires d’un point de deal de région parisienne peut dépasser les 150 000 euros par jour, on imagine à quel point ceux qui vivent du trafic n’auront aucun état d’âme à franchir un nouveau pas dans l’horreur. 

J’ai eu la chance de vivre 9 ans à l’étranger dans des pays anglo-saxons où la culture de la sécurité n’est l’exclusivité d’aucun parti politique mais l’affaire de tous. Croyez-vous qu’il viendrait à l’idée d’un gouverneur ou élu démocrate américain de prendre de tels risques lors d’un transfert d’hommes jugés dangereux ? A un juge élu par le peuple d’ordonner un déplacement en véhicule léger avec des agents dont certains ne sont ni armés, ni casqués, ce qui est parfois le cas en France lorsque la pénitentiaire manque de moyens. Un tel risque vaudrait immédiatement accusation de laxisme, de vulnérabilité, avant une forte sanction électorale puisque les juges sont élus par la population lors de scrutins locaux. Les citoyens américains doivent trouver bien triste que nous ne donnions que peu de moyens à nos agents de la pénitentiaire. 

Aux États-Unis, les convoyages ne sont jamais connus des matons. Ils font systématiquement l’objet d’une procédure ultra-protégée confiée à une équipe extérieure à la prison, afin d’éviter les fuites et la vente d’informations, véritable sport national en prison. Ainsi, certains détails (pas tous) ne seront divulgués à la presse qu’une fois la mission terminée. 

Depuis 1992 et un changement de doctrine, l’interaction avec les surveillants est réduite au maximum spécialement dans les prisons « super max » ces établissements où l’on peut maintenir sur seule décision administrative un individu à l’isolement indéfiniment au prétexte qu’il est jugé dangereux pour la société et non pas au regard de sa peine. La nouvelle doctrine inspirée par Feeley et Simon stipule que le déclassement d’un individu dangereux ne peut se faire qu’en fonction du critère de risque pour la société. Ainsi pour cette catégorie de prisonniers, la peine n’a presque plus d’importance. Seul le risque de récidive et de dangerosité avec la population n’a d’importance. Il arrive enfin que l’on transporte des prisonniers dans des cages en métal à l’intérieur de bus, mains et pieds liés à l’aide de chaînes en métal, lourdes impossibles à déplacer.  Tous ces déplacements ne se font jamais à moins de 4 véhicules, tous blindés, composés de 4 hommes par véhicules à minima et en tout cas tous armés de fusils d’assaut afin d’être à égalité d’armement face à ceux qui voudraient les surprendre. 

Faudra-t-il que nous arrivions à ce niveau de protection ? Sans doute pas. Mais la question se pose bien plus que de savoir s’il fallait voir ou non ces images sur un réseau social et donc regarder cette nouvelle réalité violente en face…

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