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Réflexions sur la politique monétaire

Cet article analyse la politique monétaire actuelle, ses impacts historiques, et propose des solutions pour améliorer la stabilité économique mondiale.

Réflexions sur la politique monétaire
Économie et Finance
Aug 6, 2024
Par 
Jacques de Larosière

Réflexions sur la politique monétaire

Jacques de Larosière a été successivement, Directeur du Trésor, Directeur Général du Fonds monétaire international, Gouverneur de la Banque de France et Président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Au détour de plusieurs collaborations avec Tom Benoit, Jacques de Larosière a récemment donné une longue interview aux côtés de ce dernier pour la chaîne Thinkerview (près de 600 k vues). Ci-dessous, nous publions un discours brillant, récemment donné en petit comité à l'Académie des Sciences Morales et Politiques par Jacques de Larosière.

Introduction :

Le sujet est technique, mais il intéresse nos sociétés au plus haut point. La littérature a relevé qu’en temps de paix c’est l’inflation qui a été considérée par les populations interrogées comme le plus grand des dangers avant même le chômage.

On peut le comprendre : « la monnaie est l’étalon qui permet de donner sa valeur à toute chose », enseignait Montesquieu. Comment imaginer que cet étalon puisse lui-même changer de valeur à tout moment ?

Traditionnellement, depuis leur apparition à partir de la fin du XVIIème siècle, ce sont les banques centrales qui ont reçu pour mission d’assurer la stabilité de la monnaie.

Pendant l’essentiel du XIXème siècle, les grands pays avaient décidé de baser leurs monnaies sur une valeur physique, celle d’une marchandise rare, simple à estimer et dont le marché était assez stable, à savoir l’or. Les porteurs de billets émis par les banques centrales pouvaient, à tout moment, les convertir en métal. Toutes les monnaies qui jouaient un rôle clé dans le commerce international étaient définies par un poids d’or. Elles s’échangeaient aisément puisqu’elles étaient définies de la même façon. Pour assurer la stabilité du système, les monnaies ne changeaient pas le poids d’or qui les définissait : les parités de change étaient donc fixes : point de dévaluation à but mercantile.

Ce système – qui avait assuré une grande stabilité monétaire internationale et avait permis de financer la révolution industrielle – s’effondra lors de la guerre de 1914. Les dépenses militaires étaient devenues si gigantesques qu’il était illusoire de pouvoir continuer à gager en or l’émission de monnaie. On s’était résigné à émettre autant de monnaie que l’exigeait la poursuite des hostilités. C’était la fin de la stabilité et la montée de l’inflation.

On essaya bien, après la Grande Guerre de restaurer le régime de l’étalon-or, mais on n’y parvint pas. L’habitude de financer les dépenses publiques, toujours croissantes, par de la dette, ainsi que le désir de gagner des parts de marché à l’exportation en jouant des dévaluations compétitives expliquent cet échec. Le monde était entré dans le régime des taux de change flottants.

Les Etats-Unis, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, étaient bien décidés à recréer un nouvel ordre monétaire mondial, Cet ordre prit la forme – sous l’appellation du « système de Bretton Woods » – d’un régime de taux de changes fixes. Chaque monnaie était définie par rapport au dollar qui était devenu l’ancre du système. Mais le dollar lui-même était soumis à la convertibilité-or : les banques centrales étrangères qui estimeraient qu’elles détenaient trop de dollars pouvaient les échanger contre or auprès des autorités américaines.

Tant que les Etats-Unis furent en équilibre de balance des paiements, le système fonctionna à peu près. Les monnaies, définies en dollars, étaient tenues à une certaine discipline. Elles n’étaient autorisées à dévaluer qu’avec l’accord de Fonds Monétaire International qui pouvait ainsi imposer sa « conditionnalité ».

Mais la guerre du Vietnam, à la fin des années 60, emporta le système de Bretton Woods. Les États-Unis avaient décidé de ne pas financer cette guerre en levant des impôts additionnels mais par l’emprunt. Cependant, du fait de la hausse des dépenses militaires, les Etats-Unis – dont l’endettement croissait rapidement – ne possédaient pas assez d’or pour assurer la convertibilité du dollar.

Le système monétaire international s’effondra en août 1971 avec la décision du Président Nixon de mettre fin à la convertibilité du dollar. 

S’en suivit un régime de flottement – plus ou moins administré – des taux de change. Ce « non-système » nous gouverne encore aujourd’hui ; il ne comporte plus aucune discipline.

C’est dans ce contexte international, qui seul permet de comprendre le sujet, que je vais tenter de décrire et de porter une appréciation sur la politique monétaire suivie depuis près de vingt ans.

I) La politique monétaire de ces dernières années a été marquée par une stimulation continue. Ce faisant, elle a mené à l’affaiblissement du système financier.

Depuis la crise financière de 2007-2008 – elle-même due à un excès d’endettement -, la politique monétaire des grandes banques centrales – qui ont suivi l’exemple de la Fed – a été constamment stimulatrice. La création monétaire avait « tourné à plein régime » depuis plus de 15 ans ainsi que le reconnaît M. Rogoff, pourtant adepte de la nouvelle politique. 

Voici comment on peut caractériser la politique monétaire depuis une vingtaine d’années :

1) Les taux d’intérêt directeurs ont été maintenus à 0 et même en dessous en termes réels pendant 20 ans

C’est ce que montre le graphique I 

On y voit qu’en dehors de la crise 2007-2008, les taux directeurs réels ont été maintenus en territoire négatif pendant plus de vingt ans.

Concrètement, cela signifie qu’un acheteur européen de bons de Trésor a dû payer une subvention à l’Etat emprunteur pour être autorisé à lui prêter.

Cette anomalie n’a pas concerné que les taux courts. Elle s’était propagée à toute la courbe des taux. Ainsi, en 2020, 40% de la dette publique européenne comportaient une rémunération nominale négative.

Cette incongruité – unique dans l’histoire – dans la mesure où elle consiste à taxer les épargnants désireux de financer l’économie, a paru normale et même souhaitable à beaucoup.

Pourtant, le paradoxe était de taille : quand il s’agit de financer une économie et son investissement productif est-il normal de punir l’épargnant, c’est à dire l’apporteur de capitaux ?

2) La croissance de l’émission monétaire a continuellement dépassé celle de l’économie réelle.

Le graphique 2 montre que la croissance de l’agrégat monétaire le plus compréhensif – M3 – a constamment excédé celle de l’économie (PIB). Et cela tant en Europe qu’aux Etats-Unis.

Ainsi, entre 2000 et 2019, M3 a cru de 220% aux Etats-Unis face à une croissance du PIB réel de 48.6% (les chiffres correspondants pour la zone euro sont respectivement de 172.5% et 28%).

Si l’on se réfère à la « monnaie Banque Centrale » (billets en circulation et réserves détenues par les banques commerciales auprès de l’Institut d’Emission), on voit, que pour la majorité des pays de l’OCDE, la monnaie banque centrale est passée de 2.5 trillions $ en 2006 à 25 trillions en 2022, soit une hausse record de 900% en quinze ans.

Ces données doivent, certes, être interprétées avec prudence, car la relation entre la création monétaire et l’inflation est complexe et non linéaire (la vélocité de la circulation, ainsi que l’irrégularité du besoin de monnaie éprouvé par les agents économiques sont difficiles à modéliser). Mais la continuité et l’ampleur de cet « excès » de monnaie auraient dû, pour le moins, inciter à se poser la question du bien-fondé de la politique suivie… Traditionnellement, la croissance du financement était proportionnelle à celle de l’économie. Ce lien a disparu depuis 20 ans : désormais, le financement dépasse les besoins économiques.

Et il faut rappeler ici que l’économiste français Jean Bodin, avait posé en 1568 l’équation quantitative de la monnaie, reprise bien plus tard par Milton Friedman et les économistes américains. Il avait démontré que si la création de signes monétaires dépassait trop et pendant trop longtemps les besoins de financement de l’économie, l’inflation finirait par apparaître. Cette thèse n’a jamais été démentie.

3) La politique monétaire a été conduite de façon asymétrique 

L’examen détaillé montre que la politique monétaire suivie a été continuellement stimulatrice :

  • Très allante au moindre signe de ralentissement économique, 
  • sans devenir vraiment restrictive en cas de surchauffe.

Or on sait qu’une politique monétaire anti-inflationniste doit tenir compte du cycle économique et alterner des phases d’accommodement et de resserrement en fonction de la conjoncture.

4) La politique monétaire de bas taux d’intérêt à contribué à une croissance massive de l’endettement des pays avancés.

Le graphique 3 tiré de l’IIF (Institut de Finance Internationale) montre que la dette globale a littéralement explosé au cours des 17 dernières années. Entre 2006 et 2022, la dette globale (financière + non financière) a doublé en valeur, passant de 150 trillions de dollars en 2006 à environ 300 trillions fin 2022.

D’après les chiffres de la BRI – qui, à la différence de l’IIF, exclut la dette émise par les organisations financières - , la dette globale est passée en termes réels :

  • aux USA de 186,8% du PIB en 2000 à 255,6% en 2022 (soit +36%)
  • en zone euro de  198,1% en 2000 à 250,9% en 2022 (soit +26,6%)
  • Cette explosion de l’endettement concerne tous les agents économiques :
  • Les gouvernements ont vu leur dette bondir en termes réels: 

USA : 48% du PIB en 2000 à 112% en 2022 soit +130%

Euro : 69% du PIB en 2000 à 92% en 2022 soit +33%

  • Pendant la même période, les entreprises privées non financières et les ménages ont vu leur dette surgir notamment en Europe :

USA : de 135 à 152% du PIB soit : +12%

Euro : de 126 à 162% du PIB soit : +28%

Les taux bas pendant une longue période ont évidemment favorisé cette montée inouïe de l’endettement global.

Or, si l’on veut prévenir l’inflation, il est indispensable de surveiller l’évolution du crédit. C’est, en effet, la montée excessive de l’endettement qui joue un rôle décisif sur la demande interne et donc sur l’inflation. L’accroissement du crédit dans les années 2013-19 ne s’est pas accompagné d’une hausse de l’inflation des prix des biens & services, mais des prix des actifs financiers et immobiliers, ce qui a créé une grande instabilité du système financier.

Et, de fait, la politique monétaire traditionnelle (dite « conventionnelle ») s’était toujours préoccupée de la montée du crédit et surveillait de près l’évolution de cet indicateur essentiel.

Or, depuis 15 ans, cela n’a pas été le cas. Le voyant d’endettement ne semble même plus figurer sur le tableau de bord de nos banquiers centraux. Et pourtant, l’explosion spectaculaire du crédit (100% entre 2006 et 2022) aurait dû, pour le moins, susciter une réaction d’inquiétude… Il n’en fut rien.

L’investissement productif a-t-il au moins bénéficié des taux bas ?  La réponse est, malheureusement, négative.

Les taux d’intérêt zéro ont, certes, favorisé l’endettement mais pas l’investissement productif.

Le graphique 4 montre que, dans les pays avancés, le capital investi en actifs productifs (non résidentiels) a décliné de 2,5% du PIB au cours des vingt années de taux zéro. Cela est unique pour une économie mondiale censée croître.

L’explication tient, en partie, à la politique monétaire.

Keynes nous avait mis en garde : la « trappe à liquidité » n’est pas favorable à l’investissement productif à long terme. En effet, face à l’absence de rémunération de l’épargne, les agents économiques préfèrent, rationnellement, rester liquides et ne pas s’engager dans des investissements risqués à long terme sans perspective de gain. Le graphique 5 suivant montre que, de fait, la partie purement liquide de l’épargne des ménages européens s’est littéralement envolée au détriment des placements productifs à long terme.

Il était aussi devenu plus intéressant pour une entreprise de s’endetter à bas coût pour racheter ses actions plutôt que d’investir à long terme. D’où l’explosion des « share buy backs » (voir graphique 6).

5) Le bilan des banques centrales a atteint des montants jamais observés dans le passé au moins en temps de paix

Etant donné – comme on le l’a montré plus haut – que les taux d’intérêt directeurs ont été maintenus à zéro – voire en territoire négatif – pendant vingt ans, les banques centrales ont dû faire face à une difficulté.

Comme les taux d’intérêt nominaux ne sauraient descendre beaucoup en dessous de zéro (il y a, en effet, une limite dictée par le bon sens à la « répression » exercée sur l’épargne), les banques centrales ont imaginé de pallier cette rigidité de la limite zéro en transférant leur action stimulatrice de la baisse des taux – désormais bloquée - à la croissance de la création monétaire. C’était le moyen imaginé pour recréer de la « marge » de manœuvre à la politique monétaire. Ce fut, après 2008, le « quantitative easing » (l’aisance quantitative). Il s’agissait, pour assurer une bonne transmission de la politique monétaire, de créer de la monnaie pratiquement sans limites. Pour tourner le butoir du zéro, les banques centrales achetaient sur le marché des titres financiers essentiellement obligataires. Ces achats de titres étaient financés par la création monétaire. En rachetant leurs titres aux acteurs de marché on accroissait la liquidité. Et l’on pensait que cette liquidité inciterait les banques à financer l’investissement. L’investissement productif a-t-il, au moins bénéficié de ces taux bas ? La réponse est négative comme il a été montré plus haut (voir graphique 4).

Certes, l’achat (ou la vente) de titres a toujours figuré dans l’arsenal des banques centrales. C’est un des moyens classiques d’influencer la liquidité des marchés financiers et d’éviter les crises à très court terme.

Mais, en l’occurrence, il ne s’agissait pas de cela. Il s’agissait d’inonder l’économie avec la création monétaire sous prétexte que l’objectif d’inflation (« un peu moins de 2% ») n’avait pas été atteint.

Le graphique n°7 montre que les titres achetés par la BCE ont littéralement explosé :

Une image contenant texte, capture d’écran, Tracé, diagrammeDescription générée automatiquement
  • On est passé de 1 trillion d’euros de titres au bilan de la BCE en 2006 à 8,2 trillions en 2022 (soit +720%).
  • Ces achats cumulés ont représenté jusqu’à 70% du PIB de la zone euro.

Le graphique n°8 montre que, pour la Fed, les titres achetés et figurant au bilan sont passés de 1 trillion $ en 2006 à 8,9 trillions en mi-2022 (son pic): soit une hausse de 910%.

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Tels sont les faits : une stimulation monétaire débridée et continue jusqu’en 2022. Quelles en ont été les conséquences ?

Je les résumerai de la façon suivante :

  1. La croissance exponentielle de l’endettement a entrainé la vulnérabilité du système financier en augmentant la probabilité des défauts des débiteurs et, par la même en favorisant les crises financières.
  1. Le « court-termisme » a envahi le système financier

Puisque les financements d’investissements productifs à long terme n’étaient pratiquement plus rémunérés, les investisseurs étaient poussés à conserver leurs liquidités ou à faire des placements courts et spéculatifs.

  1. Le fait, pour les banques centrales, d’acheter des quantités abyssales de titres sur le marché a contribué à une bulle financière sans précédent : les actions, les obligations et le patrimoine immobilier ont vu leur valeur bondir bien au-delà des « fondamentaux ». Mais les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel et, un jour ou l’autre les marchés se retournent et c’est la crise.
  2. Nombre d’entreprises ont bénéficié de taux d’intérêts très faibles grâce auxquels, elles ont pu survivre.

Mais lorsqu’avec l’inflation, les taux remontent, ces entreprises (dites « zombies ») sont menacées car leur subvention disparait et la valeur des titres qu’elles détiennent s’effondre. Or, on estime ces entreprises à plus de 16% de l’ensemble des pays avancés. Ce phénomène aurait contribué à réduire la productivité du secteur productif dans la mesure où il avait freiné le développement des firmes les plus dynamiques (voir graphique 9).

  1. La financiarisation extrême à laquelle nous sommes parvenus (on souligne que 75% de la montée du bilan global depuis 20 ans procèdent des hausses de valorisations spéculatives et non de l’augmentation de la valeur ajoutée) a privilégié les 10% de la population les plus à même d’en profiter.

Dans un monde où les salaires ont tendance à stagner, on mesure l’aggravation des inégalités sociales qui résulte d’une telle « finance à deux vitesses » et ses conséquences politiques,

  1. Enfin, la fixation de taux d’intérêt très bas pendant longtemps n’incite guère les gouvernements à entreprendre les réformes de structure nécessaires. Il est si facile d’emprunter à bas coût !

J’ajoute que la politique d’aisance quantitative (QE : quantitative easing) a amené les banques centrales à détenir une part très importante de la dette publique.

Au total, comme le montre la graphique 10, la BCE détenait un tiers de la dette publique de la zone euro fin 2022.

II) Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?

On ne peut pas, certes, nier que la politique monétaire a eu certains résultats positifs. Le plus incontesté est la réaction des banques centrales face aux crises financières. Leur rapidité d’intervention et leur puissance de feu ont évité par deux fois l’effondrement du système financier.

Mais il ne faut pas oublier que les crises (en particulier celle de 2008, et celle de l’euro en 2010) ont été en grande partie provoquées ou favorisées par l’excès d’endettement lui-même fortement encouragé par l’action des banques centrales.

Il reste que le caractère asymétrique de la politique monétaire, le maintien à zéro des taux directeurs réels pendant 20 ans, le caractère gigantesque de l’aisance quantitative, le désintérêt manifesté à l’égard de la théorie quantitative de la monnaie, l’endettement inouï… sont des déviations difficiles à comprendre et à justifier.

En tout état de cause, les banques centrales ont cru devoir agir librement de façon « non conventionnelle » - mais, en fait, extrêmement dangereuse. Il demeure qu’elles avaient pris un engagement formel : celui de limiter l’inflation à « un peu moins de 2% ». Or cet engagement n’a pas été tenu. L’inflation a resurgi en 2021 à plus de 10% après des années de modération. Elle se situe encore à 5%.

Ce fait doit être expliqué si on veut être capable d’en tirer des leçons. Il ne doit pas être nié ou traité avec légèreté.

Essayons donc de comprendre l’origine ancienne des tendances à l’œuvre.

Trois données paraissent importantes.

1) La mémoire de la Grande Dépression de 1929 a marqué les esprits. Une profonde crise économique accompagnée d’une explosion du chômage était, aux yeux de Keynes et de ses disciples, incompatible avec un resserrement de la politique monétaire.

De fait, la politique monétaire suivie en 1929 n’avait fait qu’exacerber la crise économique. Il fallait donc complétement revoir les données et la compréhension du problème. C’est alors que le New Deal, la stimulation de la demande par les dépenses budgétaires et les grands travaux furent mis en œuvre par l’Administration Roosevelt.

Les résultats furent spectaculaires et le Keynesianisme s’imposa y compris dans le domaine monétaire. La baisse des taux d’intérêt pour encourager l’investissement devint un instrument reconnu dans la gestion macroéconomique.

Depuis, la crainte d’une déflation (c.à.d. d’une baisse des prix susceptible de conduire à une dépression) est devenue une hantise de la pensée économique (bien qu’à aucun moment nous n’ayons glissé vers la déflation au cours des 20 dernières années).

2) Cette croyance en les vertus – et en l’inéluctabilité - d’une politique de stimulation monétaire a été confortée par la théorie de l’affaiblissement de la croissance séculaire. (Robert Gordon et Larry Summers).

Selon cette thèse, le monde est engagé à long terme dans un processus de très faible croissance économique pour des motifs structurels. Les raisons fondamentales tiennent au vieillissement de la population et au ralentissement corrélatif des innovations technologiques et de gains de productivité. Comme les sociétés de gens âgés consomment et investissent relativement peu tout en continuant d’épargner, on observe un « excès d’épargne » (« savings glut ») par rapport aux besoins de financement – déclinants – de l’économie. Deux conséquences s’en suivent :

  • La baisse tendancielle des taux d’intérêts « naturels » qui résulte de ces excès d’épargne, permet de mieux comprendre l’évolution - baissière sur le long terme - des « taux d’intérêt réels », évolution qui pourrait bien se poursuivre quand l’inflation se sera dissipée.

Graphique 11

  • D’où la nécessité pour la politique monétaire de s’adapter à cette évolution.

Mais il faut également, reconnaitre que les modèles de prévision sur l’évolution à long terme des taux d’intérêt sont extrêmement incertains. Ils dépendent en particulier de la manière dont seront financés les gros investissements écologiques ainsi que de l’évolution future des dépenses publiques.

3) Le troisième facteur explicatif est relié à l’absence d’un véritable système monétaire international.

Depuis l’effondrement du système de Bretton Woods, les relations entre monnaies - et les interventions de change - sont aléatoires et ne répondent plus à une discipline macroéconomique commune imposée et contrôlée par le système. Il en résulte que les acteurs se préoccupent avant tout de leurs exportations et adaptent leur change en conséquence. Le recours à l’emprunt pour « guérir » son change est devenu normal. L’endettement qui en découle explique pour beaucoup les dérèglements structurels du système.

III) Comment en sortir ?

  1. La difficulté de sortir d’un piège que l’on a créé inconsciemment est souvent le signe de l’inadéquation de la politique suivie. Il est évident que les pièges actuels sont de taille.
  2. En remontant les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, les banques centrales prennent la bonne décision. Mais ce faisant, elles provoquent l’effondrement des actifs obligataires à taux fixes assortis de basses rémunérations. La crise d’endettement se complique alors d’une crise de marché. Des banques californiennes n’ont pu supporter le choc : les clients, en voyant s’effondrer les actifs au bilan de la Silicon Valley Bank se sont mis à retirer leurs dépôts et la banque, en faillite, a été renflouée par l’Etat qui a garanti tous les dépôts (recréant, ainsi « l’aléa moral » qui avait prospéré à la suite de la crise de 2008 et qui est un des maux de notre temps). Qu’avait-on appris ?
  3. Relever les taux d’intérêt en période d’inflation est sage. Mais les gouvernements qui ont bénéficié du QE vont devoir désormais payer des taux positifs pour le service de leur dette.
  4. « L’atterrissage en douceur » de l’économie des pays avancés est souhaitable mais n’est pas garanti. Le risque d’un freinage brutal n’a pas été complétement écarté.

Les banques centrales laisseront-elles monter les taux autant qu’il le faudrait pour vaincre l’inflation ou tiendront-elles compte des effets de la hausse des spreads sur les Etats très endettés ? (« fiscal dominance »)

En fin de compte, l’analyse évoquée ci-dessus appelle une réponse à la question : « que faire ? »

J’esquisserai à cet égard les points suivants :

  1. Il est vital de vaincre l’inflation, cette taxe qui frappe les plus pauvres.

Dès le printemps 2021, avant l’invasion de l’Ukraine (qui date de février 2022), l’inflation avait resurgi comme le montre le graphique 12.

Les banques centrales ont commencé par nier la gravité du phénomène :

Graphique 12 :

  • Il était dû, nous disait-on, exclusivement à des facteurs extérieurs (hausses des prix de l’énergie et des matières premières alimentaires ainsi qu’à la défaillance des chaines de production internationales) ;
  • L’inflation, pour ces raisons, devait être transitoire et aurait disparu fin 2022.
  • Il n’était donc pas nécessaire, selon les banquiers centraux, de resserrer la politique monétaire…qui demeura inchangée (les achats des titres par la BCE continuèrent malgré la montée rapide de l’inflation).
  • Dans un système où le modèle central repose sur des anticipations d’inflation (par définition incertaines) « ancrées à 2% » sur le long terme et non sur l’évolution factuelle des données statistiques de la demande, il y a de fortes chances de ne pas anticiper une inflation renaissante. L’inflation doit être surveillée comme le lait sur le feu et non en termes d’anticipations rassurantes et incertaines.

Le graphique 13 suivant montre la modestie ou l’inexistence de la hausse récente des taux réels : 

Taux des fonds fédéraux par rapport à l'inflation globale aux États-Unis

Le tableau suivant donne une idée de la faiblesse des taux directeurs en termes réels.

Peut-on croire qu’avec des taux réels à 0 ou même négatifs en zone euro, la politique monétaire actuelle est suffisamment restrictive ?

A la vérité, le message implicite des banques centrales est encore : « vous pouvez emprunter à des taux proches de zéro ». Dans ces conditions la lutte contre l’inflation est-elle crédible ?

Qu’a-t-on appris ?

  1. Que penser de la réduction des bilans des banques centrales ?

Leur dégonflement, très modéré, a été entamé

  • Fed : la réduction du bilan a commencé : mais la moitié de cette réduction a été compensée par le renflouement des banques américaines qui ne s’étaient pas prémunies contre le risque de hausse des taux d’intérêt.
  • Quant à la BCE, c’est très timidement qu’elle s’engage dans le QT (quantitative tightening).

Jusqu’où faut-il aller, et à quel rythme, dans la voie des dégonflements des bilans des banques centrales ? Ce n’est pas le lieu ici d’en discuter en détail mais il ne faut pas sous-estimer l’importance du problème. L’héritage de stimulation monétaire continue d’être présent, et reflète le stock des actifs détenus par les banques centrales.

Ces montants (en stocks de monnaie) sont encore gigantesques et contribuent à la liquidité des marchés.

Les spécialistes considèrent qu’il faut attaquer ce problème et des scenarios sont en cours de développement de la BCE.

Mais les banques centrales oseront-elles, malgré leur indépendance, se saisir vigoureusement du problème et affronter le risque de la hausse des taux ?

En guise de conclusion, j’esquisserai les points suivants :

1) La politique monétaire ne devrait pas être – comme ce fut trop le cas depuis plus de 15 ans – « le seul jeu en ville » (« the only game in town »).

Or on a trop tendance à se tourner systématiquement vers elle pour traiter des problèmes structurels et en particulier, celui de la dérive des déficits budgétaires. Ces problèmes ne pouvant être réglés que par des actions structurelles car il s’agit d’augmenter l’offre productive et non pas la demande.

2) La politique monétaire, dans sa quête de stimulation permanente a trop souvent cherché à être « populaire »

a.En créant de la monnaie,

b. En tenant les taux d’intérêt à zéro,

c. En multipliant les objectifs (verts, sociaux, monnaies crypto) alors que le rôle de la banque centrale devrait être de se concentrer sur un objectif essentiel, celui de la stabilité de la monnaie

3) La manière dont on a utilisé l’objectif d’inflation à 2% a été très discutable. Un objectif d’inflation devrait être conçu comme un plafond : « pas plus de 2% d’inflation par an ».

Mais il a été utilisé comme un objectif. Combien de fois ai-je entendu des responsables, justifier la stimulation monétaire dans des moments où une politique plus mesurée aurait été évidemment de mise, en disant : « nous n’avons pas atteint les 2%. Il faut attendre que ce chiffre soit respecté avant de penser à resserrer » : 

Mais s’époumoner à faire de la création de monnaie pour atteindre le chiffre – arbitraire – de 2% n’a pas de sens. Des facteurs structurels maintenaient à l’époque l’inflation d’équilibre autour de 1% ce qui était satisfaisant ; il n’y avait aucune raison d’intensifier la création monétaire pour faire monter l’inflation au chiffre sacrosaint de 2%.

4) Au total, la politique monétaire a été guidée par une vue doctrinaire. On a voulu forcer les taux d’intérêt à se fixer à 0 alors qu’il était essentiel de laisser le marché des capitaux trouver ses taux d’équilibre.

Mais se mêler de fixer les taux à moyen et long terme de manière administrative veut dire que les banques centrales entrent dans le domaine, politique, du choix de l’allocation des ressources. Créer des distorsions de prix sur le marché pour « bien faire » et « mieux redistribuer » est du domaine de la politique, non du rôle d’une banque centrale.

La politique monétaire s’est enfoncée, avec le QE, dans le tréfond de la problématique budgétaire. C’est une dangereuse position pour une banque centrale – comme la BCE - que de détenir 33% de la dette publique des Etats de sa juridiction. Le risque de « dominance fiscale » est là.

Enfin, une dose d’humilité apparait de mise.

A force de s’occuper de tout, on finir par croire que cela est raisonnable.

Mais une institution qui se respecte et respecte son public doit :

a. Accepter de ne pas tout savoir et ne pas tout faire systématiquement,

b. Être prudente face à la tentation de l’imagination « non conventionnelle »,

c. Ne pas confondre bonne gouvernance (on n’a jamais vu fleurir autant de rapports savants, et inopérants, sur la stabilité monétaire et de « guidance » sur la politique des taux...) et bonne politique (qui, bien qu’essentielle, a largement failli).

Bref, il s’agit de remettre debout une politique monétaire qui soit fondée sur les faits et l’expérience et définie avec un degré d’indépendance souhaitable mais qui ne devrait jamais être un prétexte pour persévérer dans l’erreur.

Il est temps dans un monde gouverné aujourd’hui par le cycle financier que les banques centrales s’occupent de la stabilité des systèmes financiers, évitent de créer des bulles spéculatives, modèrent l’endettement et arrêtent de se concentrer exclusivement et coûte que coûte sur un objectif d’inflation au détriment de la stabilité financière.

Un mot, pour finir, sur l’aspect politique de la question.

Avec l’apparition de l’inflation et des dangers sociaux qu’elle comporte, Hayek avait dit dans une conférence en 1975 : « il faut trouver un moyen de protéger la monnaie de la politique ».

En son temps, l’étalon-or y avait réussi. On avait « dépolitisé » la monnaie en introduisant une discipline internationale (la convertibilité en or) qui échappait en principe aux politiciens.

L’étalon-or avait conduit à des ajustements et à des sacrifices qui, sans lui, auraient été dictés par des choix (ou de non-choix) politiques. 

Mais Hayek ne fut pas écouté.

Après l’échec du traitement de l’inflation des années 70, on en est arrivé à prôner l’indépendance statutaire des banques centrales comme moyen d’immuniser « la stabilité monétaire » des tentations politiciennes. Mais plusieurs éléments, expliquent que les résultats de l’indépendance des banques centrales aient été décevants.

En premier lieu, la « financiarisation » du système qui a abouti à ce que le marché devienne roi et l’extraordinaire liberté d’emprunter depuis 40 ans ont, atténué la discipline monétaire internationale qui aurait dû être recherchée. Cette évolution, (la multiplication de « faux droits » selon Jacques Rueff) s’est traduite par une fragilisation du système et l’apparition de bulles financières inouïes, elles-mêmes annonciatrices d’inflation.

En second lieu la façon dont l’objectif d’inflation (« inflation targeting ») a été appliqué et qui consistait à relever le niveau de l’inflation par de la création monétaire sous prétexte qu’un chiffre arbitraire n’avait pas été atteint, alors que les bulles et le danger inflationniste étaient à la porte, a été une erreur manifeste.

Lorsque la BCE achète des titres financiers, elle encourt, par définition, un risque qui est celui de la valeur intrinsèque et de la duration (risque de taux) de ces titres.

Si la Banque Centrale a mal calculé son risque (en sous-estimant l’inflation ou en forçant les taux à 0 alors que s’enflent les bulles financières) elle prépare une crise.

Dans la phrase ascendante du QE, les gouvernements ont été heureux de la baisse des taux et de la hausse des valeurs du Trésor. Mais dès que l’inflation réapparait et qu’il faut remonter les taux, les gouvernements s’inquiètent : l’emprunt leur coutera plus cher et ce sera à eux de combler le déficit des banques centrales, (par recapitalisation) et de subir les conséquences budgétaires de la hausse des taux.

En réalité, le concept d’indépendance des banques centrales avait été vidé en grande partie de sa substance : le mot d’ordre était de créer toujours plus de monnaie par achats de titres de dettes publiques sans prêter attention à la dépendance budgétaire et financière croissante qui en résultait et qui a fini par dévorer la notion même de stabilité financière.

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