Semi-conducteurs : une importance géostratégique

Les semi-conducteurs jouent un rôle crucial dans la réalisation des composants électroniques

Semi-conducteurs : une importance géostratégique
Business et Marchés
Sep 28, 2024
Par 
Alain Jourdan

« Les propriétés des semi-conducteurs sont à l’origine de toute l’électronique moderne » (Pierre Gille de Genne).

Dans un monde de plus en plus numérique et connecté, les semi-conducteurs jouent un rôle crucial dans la réalisation des composants électroniques. Nous en utilisons des dizaines de milliers chaque jour, voire des millions, sans même nous en rendre compte. Durant la pandémie du covid, une pénurie sans précédent a affecté de nombreux secteurs à travers le monde et nous a fait réaliser à quel point ils étaient si importants. Ces matériaux servent à la fois d’isolant et de conducteur et sont aujourd’hui à la base de tous les composants électroniques des dispositifs spatiaux, médicaux, militaires ou encore de télécommunication. Ils nous permettent de nous rendre sur nos lieux de travail plus rapidement, de communiquer avec nos proches, de consulter cet article en ligne ou d’intercepter un missile intercontinental. Au cœur de cette industrie se trouve Taïwan qui a émergé comme un acteur majeur de la fabrication et de l’innovation de ces composants au détriment de son voisin chinois. L’indopacifique étant en proie à de vives tensions géopolitiques ces dernières années, cette domination taïwanaise du marché des semi-conducteurs contribue à les exacerber .

Mais comment ce matériau est-il devenu si précieux pour nos sociétés numérisées ? Si des travaux sur la conductivité des métaux ont déjà lieu au XVIIIe siècle, les grandes avancées théoriques et pratiques prennent place entre les années 1930 à 1950, date à partir de laquelle les industries de semi-conducteurs ont vu le jour. Ces découvertes engendrent un gain exceptionnel de taille, de poids, de consommation d’énergie, de durabilité, d’efficacité et de facilité de production en remplaçant les tubes à vides utilisés précédemment. De manière succincte, les semi-conducteurs sont des matériaux possédant une conductivité électrique duale située entre les conducteurs (comme les métaux) et les isolants (comme le verre). Majoritairement constitués de silicium, ils permettent un contrôle précis du courant électrique, chose essentielle pour créer des circuits complexes (processeurs, circuits intégrés…). Ils donnent la possibilité de miniaturiser les composants électroniques, augmentant la densité des circuits et améliorant l’efficacité énergétique des appareils. Ces propriétés expliquent pourquoi les grandes puissances aspirent à devenir autonomes en matière de recherche et de développement de tels matériaux qu’elles placent au centre de toutes leurs ambitions électroniques.

Taïwan occupe une position stratégique au centre des trois maillons de la chaîne de fabrication des semi-conducteurs (fonderies de puces, conception de circuits intégrés avancés et encapsulation de composants). C’est dans le premier qu’elle domine avec 58% des parts de marché mondial des fonderies de semi-conducteurs appartenant à l’entreprise TSMC (suivie par Samsung -Corée du Sud- qui possède 15% des parts de marché). Cette réussite résulte d’une politique orientée vers l’exportation de produits à haute valeur ajoutée, notamment les semi-conducteurs, lancée dès les années 1970 par le ministre des Affaires économiques de l’époque, Sun Yun-suan. Taïwan étant un petit pays, la stratégie adoptée est similaire à celle de la Suisse qui, au vu de la taille de son marché intérieur et de son accès aux matières premières, a préféré miser sur des activités d’exportation de produits transformés à forte valeur ajoutée. Cette stratégie est un réel succès puisqu’en 2022 Taïwan a généré 66% des revenus engendrés par la production mondiale de ces puces électroniques (dont 56% uniquement pour l’entreprise TSMC). D’un point vue géostratégique, cette domination contribue à raviver des tensions déjà considérables dans la région.

La Chine, forte d’ambitions envers cette île voisine, investit massivement dans le domaine afin de ne plus en être dépendante. En effet, l’une des raisons qui aujourd’hui empêche la Chine d’attaquer ou d’envahir Taiwan est le risque de stopper la production et le commerce de semi-conducteurs, ce qui paralyserait l’économie mondiale et mettrait en danger nos sociétés numérisées, y compris la sienne. Une première pénurie de grande ampleur a permis de mesurer l’impact qu’ont ces composants sur notre quotidien lors du covid. La demande d’appareils électroménagers ayant grandement augmenté avec la montée du télétravail, les fonderies taïwanaises et toute la chaîne de fabrication ont été fortement impactées lors de cette période. Parallèlement à la concurrence sino-taïwanaise, les Etats-Unis qui sont les plus grands rivaux économiques de la Chine, lui imposent des sanctions interdisant à ses entreprises (Applied Materials, Lam Research et KLA) d’exporter les machines utilisées lors du processus de gravure (sanctions suivies par les Pays-Bas et le Japon qui font partie des plus gros acteurs du marché). Joe Biden a d’ailleurs signé en début d’année le « CHIPS Act », visant à relancer l’industrie des semi-conducteurs aux Etats-Unis et prévoit environ 40 milliards de dollars de subvention pour la production et la recherche dans ce milieu. La réponse chinoise ne s’est pas fait attendre puisque le gouvernement compte investir l’équivalent de 40 milliards d’euros afin de doper sa production pour ne plus être dépendant de ses concurrents et répondre lui-même à la demande de son marché domestique qui représente un quart de la demande finale de puces dans le monde. Il est important de se rendre compte que l’appareil de production occidental fait tout pour isoler la Chine afin qu’elle ne devienne pas indépendante et que l’on puisse continuer à bénéficier de la taille de son marché et de sa demande croissante.

L’Union européenne, consciente de ces enjeux stratégiques, adopte elle aussi un nouveau plan d’investissement dans le domaine en injectant plus de 100 milliards d’euros sur le territoire européen. Environ 70 projets d’usines dans 19 pays ont été annoncés ces derniers mois dont celui d’une première usine TSMC en Allemagne. Le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, justifie cette initiative par le besoin de créer une infrastructure européenne compétitive et pérenne qui contribuerait à réduire la dépendance de l’Europe vis-à-vis des autres acteurs mondiaux. Finalement, la numérisation exponentielle de notre quotidien continuera à renforcer l’importance de ces matériaux, les plaçant au centre des considérations géostratégiques actuelles des grandes puissances.

Article rédigé en collaboration avec l'Observatoire Géostratégique de Genève

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