Comprendre les krachs et les crises financières (2/2)

Plusieurs épisodes récents illustrent une déconnexion entre fondamentaux et liquidité…

Comprendre les krachs et les crises financières (2/2)
Business et Marchés
Apr 11, 2025
Par 
Mory Doré

Plusieurs épisodes récents illustrent une déconnexion entre fondamentaux et liquidité…

Dans notre précédent article, nous avons vu que les secousses financières, aussi spectaculaires soient-elles, peuvent être mieux comprises avec l’expérience, et nous avons identifié un premier grand type de crise : celles liées à un surendettement insoutenable.

2e type de crise : les krachs traditionnels sur différentes classes d’actifs financiers

Les krachs « traditionnels » ne s’éternisent généralement pas, parce que les banques centrales et les autorités budgétaires réagissent rapidement avec des mesures souvent efficaces – même si, dans bien des cas, il s’agit surtout de « gagner du temps ». Les trente dernières années offrent une série d’exemples qui illustrent cette capacité d’intervention et les outils mobilisés en période de crise. En voici quelques-uns…

Crises de change

Lors d’une crise de change, une banque centrale pouvait intervenir directement sur le marché des devises. Si sa monnaie était jugée surévaluée, elle en émettait davantage pour la vendre, comme ce fut le cas en Chine entre 2000 et 2014. A l’inverse, si sa monnaie subissait une attaque, elle pouvait utiliser ses réserves de change pour la soutenir, en la rachetant massivement, comme lors des crises du SME (système monétaire européen) entre 1992 et 1995. Ces interventions n’étaient toutefois pas toujours suffisantes pour endiguer les tensions.

Crises des marchés émergents

Lorsque les économies émergentes étaient confrontées à des déséquilibres macroéconomiques classiques – déficits commerciaux importants et détérioration des finances publiques dues à une faiblesse des recettes fiscales –, la réponse suivait un schéma connu :

dévaluation de la monnaie locale ;

programme d’ajustement budgétaire, souvent en lien avec des institutions internationales. C’est ce qui s’est produit lors de la crise asiatique de 1997 et la crise russe de 1998.

Krachs obligataires et boursiers liés à l’inflation ou à la croissance

Quand un krach était provoqué par une hausse de l’inflation ou un ralentissement de la croissance, les banques centrales finissaient en général par intervenir avec les recettes traditionnelles de la politique monétaire, c’est-à-dire la baisse des taux directeurs pour relancer l’activité économique.

Krachs obligataires dus aux déficits publics

En cas d’explosion des déficits budgétaires, les banques centrales ont eu recours à des formes plus ou moins directes de monétisation de la dette publique, notamment via :

achats massifs de titres d’Etat, dans le cadre de programmes de quantitative easing ;

conditions incitatives permettant aux banques d’investir dans la dette souveraine ;

opérations de refinancement à long terme (LTRO), destinées à faciliter ces achats.

Crises du marché monétaire

Enfin, lors de graves dysfonctionnements du marché interbancaire (comme à l’été 2007 ou à l’automne 2008) les banques centrales ont procédé à des allocations exceptionnelles de liquidités.

Objectif : remédier à la panne de confiance entre établissements financiers, qui refusaient de se prêter entre eux, ou pallier le recul de la demande pour les certificats de dépôt bancaires.

3e type de crise : les krachs provoqués par une déconnexion entre liquidité et fondamentaux

Dans ce type de crise, l’élément déclencheur réside dans une discordance entre deux dynamiques clés :

les fondamentaux, que l’on définit ici comme le couple « perspectives de croissance/anticipations d’inflation ». Le scénario le plus défavorable est bien sûr celui de la stagflation, où la croissance est en berne et l’inflation est en hausse ;

la liquidité, quant à elle, renvoie aux conditions monétaires et financières globales, que nous développerons plus en détail dans un prochain article. Cela inclut notamment le niveau des taux d’intérêt réels ou encore la taille du bilan de la banque centrale, indicateur du volume de liquidités injectées dans le système.

On peut résumer les différents cas de figure dans le tableau suivant :

tableau liquidités

A chaque fois qu’une déconnexion entre fondamentaux et liquidité apparaît, qu’elle dure quelques semaines ou plusieurs mois, les marchés sont susceptibles de subir de violentes secousses, parfois même un krach.

Deux configurations sont particulièrement propices à ces déséquilibres. D’une part, des fondamentaux solides ou corrects, mais une liquidité devenue restrictive (case en bas à gauche du tableau). D’autre part, des fondamentaux dégradés alors que la liquidité reste abondante (case en haut à droite). Surveiller ces déconnexions est essentiel, car elles constituent le terreau des mini-krachs de demain.

Plusieurs épisodes récents illustrent parfaitement ce phénomène :

Mai 2013 – Etats-Unis

Il ne s’agissait pas d’une détérioration des fondamentaux, mais d’un changement dans les anticipations de politique monétaire : la Fed envisageait de réduire son soutien. Les conséquences ont été immédiates : baisse des marchés actions dans les pays développés et émergents, hausse des taux longs souverains, hausse des rendements sur les obligations corporate et high yield et hausse du dollar. Ce mini-krach, peu relayé à l’époque, a été rapidement contenu par un revirement de la Fed.

Mi-octobre 2014 – Etats-Unis

A l’inverse, les anticipations de politique monétaire étaient inchangées, mais les fondamentaux de l’économie américaine se détérioraient fortement. Les conséquences étaient les suivantes : Baisse des actions OCDE et émergentes, baisse des taux longs sur les emprunts d’Etat, hausse des taux sur les obligations corporate et high yield et baisse du dollar. Ce schéma est exactement celui que nous connaissons actuellement.

Mars-avril 2025 : un nouvel épisode de déconnexion

La situation actuelle en est une illustration saisissante. La liquidité est abondante : les conditions monétaires restent très accommodantes mais la détérioration est marquée des perspectives macroéconomiques, en raison d’une politique tarifaire américaine à la fois brutale et irrationnelle. Le choc a été violent : Le NASDAQ a perdu près de 6 000 points par rapport à ses sommets de février 2025, soit une baisse de 25 %. Le Dow Jones a chuté de près de 7 000 points depuis la mi-février, soit environ 15 % de baisse.

Ce krach s’inscrit dans un contexte particulièrement délétère. Les effets du protectionnisme américain ont été largement sous-estimés, entraînant un fort ajustement à la baisse des anticipations de croissance mondiale et à la hausse des anticipations d’inflation aux Etats-Unis. Les marchés n’intégraient quasiment plus de primes de risque, en particulier sur les incertitudes et incohérences de la politique économique américaine. Comme souvent dans ce type de configuration, la surréaction baissière s’est alimentée elle-même, pour plusieurs raisons :

contraintes de respect des ratios réglementaires ;

déclenchement de stops et appels de marge ;

anticipation de demandes de liquidités par les clients ;

gestion tactique des bilans, avec vente d’actifs encore valorisés pour compenser les pertes sur d’autres positions.

Nos productions audiovisuelles ont cumulé plus de 30 millions de vues en 2024 seulement sur nos canaux de diffusion (hors diffusion des partenaires).

Abonnez-vous pour avoir accès à l'intégralité des contenus exclusifs

Leader des médias économiques libéraux en France