Economie de partage : quand la politique freine l’innovation

15 ans après l’arrivée d’Uber en Europe, quel bilan peut-on faire de l’économie de partage ?

Economie de partage : quand la politique freine l’innovation
Économie et Finance
Feb 26, 2025
Par 
Bill Wirtz

15 ans après l’arrivée d’Uber en Europe, quel bilan peut-on faire de l’économie de partage ?  

Lorsqu’Uber est arrivé en Europe, il y a une quinzaine d’années, il n’existait aucune véritable alternative au monopole des taxis. Où que l’on se trouve sur le continent, il fallait héler un taxi, et bien qu’il y ait eu différentes sociétés opérant sur le marché, toutes suivaient un système uniformisé, fonctionnant selon le même principe : des taximètres réglementés par des licences gouvernementales strictes.

Vous montiez dans une voiture sans vraiment savoir où vous alliez, vous faisiez de votre mieux pour ne pas laisser deviner au chauffeur que vous étiez touriste – au risque de voir la course grimper – et malheur à vous si vous n’aviez pas d’espèces. Les files d’attente dans les gares ou les aéroports étaient longues, et il était souvent difficile, lorsque l’on voyageait, d’indiquer à un chauffeur dans une langue étrangère, et sur une rue dont le nom était difficile à prononcer, l’endroit précis où l’on voulait être récupéré.

Uber a changé beaucoup de choses – et pas seulement en raison de l’arrivée des smartphones et de l’Internet mobile. Ce sont d’abord les jeunes qui ont profité de courses bien moins chères et plus pratiques.

Et bien sûr, en tant qu’utilisateur de la première heure de l’application, je peux témoigner que tout n’a pas toujours été simple au début : l’application était lente, les chauffeurs ne connaissaient pas bien la ville, ou les temps d’attente étaient trop longs.

Mais, comme pour toute technologie, l’entreprise a appris sur le tas. Elle doit aujourd’hui faire face à un concurrent européen de poids, né en Estonie : Bolt. Et pourtant, malgré le succès fulgurant d’entreprises comme Uber et Bolt, les taxis sont toujours là – non pas parce qu’il subsiste une réelle demande pour des stations et un service de taxi analogique à la demande, mais parce que les licences professionnelles mettent simplement beaucoup de temps à disparaître.

Bref : « Autrefois distribuées gratuitement en tant que service public, les licences sont devenues un bien privé pour quelques chanceux et leurs héritiers, qui n’ont cessé de tirer profit de leur vente. Aujourd’hui, elles se vendent jusqu’à 200 000 €, voire 400 000 € à Venise. Cette situation contraste avec celle de la France, où n’importe qui peut demander une licence de taxi après avoir passé un examen. »

Le lobbying puissant et efficace de l’industrie du taxi a maintenu l’Italie sous sa coupe, au point de faire apparaître le système français, en comparaison, comme un modèle de modernité réglementaire.

Mais tout n’est pas rose dans le reste de l’Europe.

Certains pays ont adopté un système de VTC qui supprime structurellement les privilèges réservés aux taxis, tandis que d’autres ont choisi de les maintenir. L’époque libérale d’ »UberPOP », où n’importe quel détenteur d’un permis et d’une voiture pouvait vous prendre en charge, semble déjà bien loin. Mais, au fond, qu’est-ce qui rendrait cela impossible aujourd’hui ? Si j’ai un permis de conduire, je suis aussi qualifié qu’un chauffeur de taxi pour prendre la route. Et si, par le passé, l’argument selon lequel les chauffeurs de taxi connaissaient parfaitement leur ville pouvait tenir, l’avènement des smartphones et de la navigation en ligne a rendu cette compétence largement superflue.

Non, le vrai problème d’Uber ne réside pas uniquement dans la pression exercée par le lobby des taxis, mais bien dans la question de la flexibilité du travail. L’époque où l’on exerçait un « métier » bien défini, représenté par un syndicat ou une fédération, est révolue – et cela dérange les responsables politiques. Il fut un temps où un parti pouvait s’adresser à une catégorie professionnelle précise, promettre des avantages aux mineurs plutôt qu’aux comptables. Aujourd’hui, on peut être traducteur le matin, chauffeur Uber l’après-midi et infirmière le soir : le travail est, comme on dit, « ubérisé ».

Ce n’est pas le fruit d’un plan secret orchestré par de grandes entreprises mal intentionnées pour nous forcer à cumuler les emplois. Même si l’on peut admettre que l’inflation nourrie par l’assouplissement quantitatif a rendu cela inévitable, la réalité est surtout que le modèle rigide de la semaine de travail standard appartient désormais au passé. Pourquoi continuer à fermer les magasins le dimanche ou à certaines heures, alors que les gens adoptent de plus en plus une organisation fondée sur la flexibilité et la valorisation du temps ? Quand le travail repose sur un service rendu plutôt que sur des heures passées dans un bureau, on comprend mieux la véritable valeur de l’argent, ce qu’il représente concrètement.

Les travailleurs occasionnels ne sont pas automatiquement précaires. Ils font des choix réels. Prétendre que les compagnies de taxis – longtemps réservées à une élite détenant des licences – ou les livreurs, qui quittent la cuisine du restaurant pour enfourcher leur deux-roues, offrent une meilleure alternative, revient à se tourner vers un passé qui n’a pas véritablement amélioré le quotidien de la majorité.

Prenons l’exemple d’Airbnb : combien de temps a-t-on perdu (et perd-on encore) dans des débats politiques absurdes pour savoir si chacun peut décider à qui et pour combien de temps louer son logement ou une chambre ? Pourquoi l’Etat devrait-il me dire ce que je peux ou ne peux pas faire de mon propre bien immobilier ? Surtout lorsque ce même Etat est responsable de la flambée des prix, en freinant la construction de logements neufs.

L’économie de partage a normalisé l’idée que chacun peut disposer librement de son temps et de ses biens. Le fait qu’il faille autant de temps pour traduire cette réalité dans les politiques publiques montre à quel point celles-ci sont à la traîne par rapport aux besoins réels de l’innovation économique.

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