De nombreuses théories économiques, enseignées et relayées partout, reposent en réalité sur des postulats erronés.
De nombreuses théories économiques, enseignées et relayées partout, reposent en réalité sur des postulats erronés.
Démolissons quelques mythes, aujourd’hui.
Par « mythes », j’entends les doctrines économiques largement acceptées, énormément mises en avant et tout simplement fausses.
On pourrait penser qu’une doctrine ou un modèle faux ou produisant de mauvais résultats serait abandonné par la profession des économistes sans le concours des critiques.
Eh bien non !
La liste d’idées économiques dont on peut prouver qu’elles sont fausses, en s’appuyant sur des données tangibles, est plus longue qu’on ne le pense, et elle ne cesse de s’allonger.
En économie, on lance une théorie ou un modèle comme s’il se démontrait tout seul. D’autres économistes rejoignent le mouvement et commencent à utiliser ce modèle ou à y ajouter des variantes. Rapidement, le modèle s’endurcit et devient une doctrine érigée en vérité immuable.
Si les données concordent avec le modèle, elles sont considérées comme des « preuves ». Si elles ne concordent pas, elles sont rejetées car considérées comme des « aberrations » ou des « anomalies statistiques ». (Dans le domaine de la vraie science, les anomalies sont prises au sérieux et peuvent remettre en question l’hypothèse. En économie, on les ignore.)
La liste des mythes économiques est longue.
Il y a celui de l’hypothèse d’efficience des marchés. Il s’avère que les marchés ne sont pas du tout efficients : ils sont volatils, irrationnels et s’effondrent parfois au point d’être fermés par les régulateurs. Mais peu importe ! L’inventeur de l’hypothèse d’efficience des marchés, Eugene Fama, s’est vu décerner le prix Nobel, et sa théorie est toujours enseignée en économie.
Et puis, il y a cette idée que les cours boursiers reflètent parfaitement toutes les informations disponibles et qu’ils sont réévalués progressivement en fonction des nouvelles informations, en donnant le temps aux investisseurs d’acheter ou de vendre une action selon ce qu’ils pensent de ces informations.
C’est absurde. Dans le monde réel, les marchés ignorent les informations et sont guidés par de faux scénarios. Et, quand la réalité s’impose, ils opèrent de violents mouvements de baisse ou de hausse auxquels les investisseurs n’ont pas le temps de participer.
Ensuite, il y a le modèle (mathématique) Black-Scholes, utilisé pour évaluer le prix théorique des options, et sur lequel on se base pour le trading des options, swaps et produits connexes sur un marché des dérivés qui représente un million de milliards de dollars.
Le modèle Black-Scholes intègre des mathématiques complexes mais, derrière tout cela, il n’y a que des hypothèses, la première étant qu’un titre du Trésor offre un taux « dénué de risques ». Essayez d’expliquer aux Russes que les bons du Trésor sont dénués de risques.
Selon la seconde hypothèse, l’avenir ressemble au présent, en termes de résultats probables. Mais toute personne ayant vécu les 100 premiers jours du gouvernement Trump aura du mal à trouver quelque chose qui y ressemble, au moins depuis Frank D. Roosevelt (il y a 92 ans) ou peut-être Andrew Jackson (il y a 196 ans).
Si « l’incertitude » est le leitmotiv que l’on entend partout, de Wall Street à Washington, c’est qu’il y a une raison. Nous vivons à une époque inédite, de mémoire d’homme.
On peut démontrer que d’autres mythes de marché sont faux.
Le risque ne suit pas une loi normale (courbe en cloche), il est distribué d’une façon qui renforce la probabilité des effondrements (courbe de puissance).
Le stimulus (mesure de relance) keynésien n’a pas un effet multiplicateur qui fait augmenter la croissance (l’effet multiplicateur est < 1 aux alentours d’un ratio dette/PIB de 90 %, sans compter que les soi-disant mesures de relance ont tout simplement été gaspillées en investissements non productifs, indépendamment du niveau d’endettement).
Les mythes économiques ne sont pas que faux et embêtants.
Dans la mesure où ils sont assimilés par les banques centrales et les ministres des Finances, et utilisés pour déterminer les politiques économiques, ils produisent des résultats dangereux qui pénalisent l’économie de pays tout entiers et peuvent détruire les portefeuilles des investisseurs.
Cet arrière-plan étant posé, voici certains mythes de marché qui sont au premier plan des politiques actuelles.
L’idée, ici, est que la Fed contrôle les taux d’intérêt, pilote l’économie dans la direction souhaitable, est capable de lutter contre l’inflation et le chômage simultanément et peut fournir un stimulus économique, si nécessaire.
Toutes ces suppositions sont fausses.
Les taux d’intérêt sont contrôlés par les marchés. La Fed a une certaine influence sur les taux à très court terme, mais c’est tout. Et on peut même douter de cette influence car la Fed, aujourd’hui, suit clairement les marchés pour baisser les taux d’intérêt et n’est à l’avant-garde de rien.
Après la réunion de la Fed du 19 mars, le taux directeur (« Fed Funds target ») était de 4,5 %. En gros, il s’agit d’un taux de prêt interbancaire au jour le jour (overnight) non garanti. Et pourtant, il n’existe plus de marché significatif des Fed Funds depuis 2008, car les banques détiennent des milliers de milliards de dollars de réserves excédentaires, à la Fed, et n’ont pas besoin de se prêter de l’argent entre elles pour répondre aux exigences de réserves.
Autrement dit, la Fed cible quelque chose qui n’existe pas.
Les équivalents fonctionnels les plus proches de ces Fed Funds sont le taux SOFR (« overnight financing rate » : taux de financement au jour le jour), qui est le taux de prêt interbancaire garanti par des titres du Trésor (en gros, le taux de « repo », mise en pension de titres), ou le rendement (ou taux) du bon du Trésor américain à un mois.
Or, au moment où je rédige ces lignes, le taux SOFR est de 4,30 % et le rendement (ou taux) du bon du Trésor américain à un mois est de 4,282 %. Autrement dit, ces deux équivalents sont considérablement plus faibles que le taux directeur de 4,50 %.
Manifestement, la Fed ne guide pas les marchés vers des taux plus bas. Elle suit les marchés. Malgré tout le spectacle et le battage médiatique qui entourent les réunions de la Fed, elles n’ont aucune importance. Les marchés font baisser les taux – avec ou sans validation de la Réserve fédérale.
Comme toujours, la Fed a un métro de retard.
Selon une idée reçue, des taux bas et des baisses de taux fournissent un stimulus.
C’est tout le contraire. Les taux bas de la Fed ou du marché ne représentent en aucun cas un stimulus. Ils sont plutôt le signe que la croissance est en train de ralentir et que l’économie américaine s’oriente vers une récession (au pire) ou une stagnation (au mieux).
Des taux d’intérêt bas ou à zéro sont le plus souvent associés à une récession, à une dépression ou à des renflouements.
Une économie enregistrant une forte croissance affiche plus souvent des taux d’intérêt élevés (mais pas trop), liés à une anticipation que les rendements des investissements dépasseront le taux d’emprunt, et que les entreprises se bousculeront pour emprunter des capitaux.
La Fed est prisonnière de modèles obsolètes et carrément erronés.
Il n’existe même aucune preuve que la courbe de Phillips (l’idée qu’il y aurait une relation inverse entre inflation et chômage) existe, ou qu’elle ait une valeur prédictive. En fait, le chômage et l’inflation suivent leur propre trajectoire et peuvent s’aggraver simultanément (stagflation), ce qui contraindrait la Fed à lutter contre l’un ou l’autre, mais pas les deux.
Il n’existe aucune preuve que l’assouplissement quantitatif (QE) fonctionne ou qu’il ait un effet stimulant. Il a été largement prouvé que l’on pouvait surpasser le marché malgré l’idée très répandue « qu’il est impossible de battre le marché ». Les marchés ne tendent pas vers l’équilibre, mais évoluent dans une instabilité permanente au sein d’un système dynamique complexe.
La correction du marché actions et des données signalant une récession ont été relayés par les anciens médias sous les titres « la récession de Trump » ou « le krach de marché de Trump ». Tout le monde blâme les tarifs douaniers.
En fait, cette récession qui couve depuis plus d’un an est la conséquence des déficits budgétaires de Biden et d’une pénurie mondiale de dollars – deux éléments qui n’ont rien à voir avec Donald Trump.
L’idée selon laquelle les tarifs douaniers seraient « une taxe sur les ventes de produits réglée par les Américains » ou qu’ils vont provoquer de l’inflation est absurde.
Les tarifs douaniers seront payés par les importateurs, et les coûts économiques (exprimés par des marges plus faibles) seront répartis entre l’exportateur et l’importateur. Ils ne seront pas transférés au consommateur.
Si les grands distributeurs et détaillants américains pouvaient augmenter les prix, ils l’auraient déjà fait. Ils n’ont pas besoin de l’excuse des tarifs douaniers. S’ils ne l’ont pas déjà fait, c’est parce qu’ils ne le peuvent pas : le consommateur n’a plus d’argent.
Il est plus probable que les tarifs douaniers soient déflationnistes, dans la mesure où les producteurs étrangers baisseront les coûts, ou les gouvernements dévalueront leur monnaie pour compenser leur impact.
Les tarifs douaniers seront un plus pour l’économie américaine, mais ils n’auront pas d’impact avant un certain temps, une année peut-être. Les annonces d’investissements importants sont positives, mais c’est l’investissement effectif (qui prend du temps) qui produit des emplois offrant des salaires élevés.
Nous n’en sommes pas encore là.
Trump est bien avisé de prendre ses distances avec le marché actions. Les actions vont là où elles le veulent et, en ce moment, la tendance est à la baisse.
Il existe bien d’autres mythes de marché qui sont aussi faux et dommageables que ceux décrits ci-dessus. Alors, la prochaine fois que vous entendrez un « expert » faire des recommandations de marché en s’appuyant sur une « théorie » bien répandue, prenez du recul et demandez-vous si ces présumés génies du marché savent vraiment de quoi ils parlent.