Depuis 6 000 ans, l’or occupe une place prépondérante au niveau de l’organisation des finances publiques et privées de l’Homme.
Faut-il s’attendre à un retour à une forme d’étalon-or ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par jeter un coup d’œil dans le rétroviseur…
Depuis 6 000 ans, l’or occupe une place prépondérante au niveau de l’organisation des finances publiques et privées de l’Homme. Depuis 1844, le système monétaire international (SMI) est passé par toutes les combinaisons offertes par le triangle des incompatibilités de Mundell, l’or assurant le premier rôle dans les régimes de changes fixes. Le cadre actuel est celui de la flottabilité de devises, qui a commencé à prendre effet en 1973. De nos jours, l’or n’a officiellement plus aucun lien avec la monnaie au sein du SMI.
Cependant, plusieurs commentateurs du marché de l’or estiment qu’un retour à l’étalon-or est l’issue inéluctable vers laquelle se dirigent nos économies surendettées.
Commençons avec un peu de théorie 1.
Comme l’explique l’historien de l’économie Jean-Marc Daniel : « Depuis 1844, le monde a accompli une sorte de parcours complet en essayant toutes les éventualités offertes par le triangle des incompatibilités de Robert Mundell. »
Le triangle d’incompatibilité, ou triangle de Mundell
Position a : contrôle des capitaux.
Position b : union monétaire.
Position c : changes flottants.
Le triangle d’incompatibilité est un principe économique développé par Robert Mundell et Marcus Fleming selon lequel, dans un contexte international, une économie ne peut atteindre simultanément que deux des trois objectifs suivants :
avoir un régime de change fixe, potentiellement au travers d’un étalon-or ;
disposer d’une politique monétaire indépendante ;
avoir une parfaite liberté de circulation des capitaux (intégration financière).
L’économiste canadien Robert Mundell (1932-2021)
Eh oui, car :
si un pays opte pour un régime de changes fixes et une politique monétaire autonome… alors il lui faudra instaurer un contrôle des capitaux ;
si un pays opte pour un régime de changes fixes mais qu’il veut préserver la libre circulation des capitaux… alors il perdra sa souveraineté monétaire ;
et si un pays veut conserver cette dernière, tout en garantissant la libre circulation des capitaux… alors il lui faudra en passer par un système de change flottants, sans quoi son système monétaire ne sera pas tenable.
Autrement dit, on ne peut pas tout avoir en même temps : il faut choisir !
Et au cours du dernier siècle et demi, les autorités publiques mondiales ont fait le tour de toutes les combinaisons possibles et imaginables…
Premier temps : étalon-or, changes fixes et liberté de circulation des capitaux (années 1870 – 1922)
Au début du XIXe siècle, l’Angleterre domine le monde. Une majorité des grandes puissances économiques fonctionnent avec des systèmes monétaires bimétalliques fondés sur l’or et l’argent.
Victoria, reine du plus grand empire du monde entre 1837 et 1901
A partir des années 1870, un nombre croissant d’Etats s’alignent sur le système monométallique britannique de l’étalon-or (gold standard).
Sur le plan de la politique économique, les Etats perdent l’autonomie de leur politique monétaire et doivent avoir la même inflation (faible à cette époque) que leurs partenaires.
Ce système d’étalon-or vit dans sa pureté jusqu’à ce que les conséquences budgétaires de la Première Guerre mondiale entraînent la suspension de la convertibilité des devises en or.
Deuxième temps : changes fixes et politique monétaire autonome (1923-1976)
Les accords de Gênes de mai 1922 visent à remettre de l’ordre au niveau d’un système monétaire mondial profondément désorganisé. La conférence accouche d’un système hybride. Les Etats disposant de stocks d’or suffisants reviendront à une stricte convertibilité des devises en or. Les autres devront recourir à un système d’étalon de change or (gold exchange standard) basé sur deux devises : la livre et le dollar. Le Royaume-Uni, en s’opposant au retour pur et simple de l’étalon-or, est contraint de partager le privilège d’émission de la devise de réserve mondiale avec les Etats-Unis.
Le premier ministre britannique David Lloyd George (1863-1945), architecte de la conférence de Gênes
Sur le plan de la politique économique, ce système combine des changes fixes mais ajustables et la liberté de leur politique monétaire pour les banques centrales. Jusque dans les années 1960, les contrôles des changes, inévitables, contribuèrent à freiner la mondialisation des échanges et à ralentir la croissance mondiale.
La Grande Dépression rend les parités intenables et les dévaluations se multiplient. Les Etats-Unis renoncent à la parité en 1933. Les rivalités entre grandes puissances empêchent tout accord et, en 1939, la Seconde Guerre mondiale éclate.
En juillet 1944, les Alliés se réunissent aux Etats-Unis pour dessiner les grandes lignes du système monétaire international qui prévaudra une fois la paix rétablie. L’objectif des négociateurs est de construire un SMI permettant d’écarter les dévaluations qui ont miné l’atmosphère politique de la décennie ayant mené à la guerre. Il est décidé que le dollar sera désormais la seule monnaie de référence mondiale dans le cadre d’un nouvel étalon de change or. La devise américaine est indexée sur l’or et convertible en métal jaune au taux de 35 $ l’once. Les autres devises sont convertibles en dollars selon un taux de change fixe (mais ajustable à plus ou moins 1 % par rapport au dollar). C’est le système de Bretton Woods issu des accords éponymes du 22 juillet 1944 (et véritablement effectif à partir de 1946-1947).
Harry Dexter White, négociateur des Etats-Unis, et John Maynard Keynes, négociateur britannique, à la conférence de Bretton Woods
Dans les années 1960, les Etats-Unis font face à la montée en puissance économique et commerciale des Etats européens et du Japon. Ces concurrents redoutables dégagent des excédents en dollar alors que les Etats-Unis ont une balance courante déficitaire, notamment du fait de la très coûteuse guerre du Vietnam (1964-1975). Face à la menace de l’augmentation des demandes de conversion de dollars en métal jaune par les banques centrales occidentales, le gouvernement américain va prendre une décision unilatérale qui mettra fin à un SMI organisé.
Troisième temps : étalon-dollar et changes flottants, autonomie de la politique monétaire, liberté de circulation des capitaux (depuis 1976)
Le 15 août 1971, sans avoir au préalable consulté ses partenaires étrangers, le président Nixon promulgue l’Executive Order 11615 qui rompt unilatéralement le lien qui unissait le métal jaune au dollar. Il n’y a plus de contrepartie métallique à la monnaie émise, seulement de la dette. L’or sera désormais librement coté en dollar.
Le président américain Richard Nixon (1969-1974)
Les accords de mars 1973 mettent fin au système de changes fixes et ajustables avant que les accords de la Jamaïque du 8 janvier 1976 ne viennent apporter une reconnaissance de jure et un cadre fonctionnel à la flottabilité des devises.
Sur le plan de la politique économique, Jean-Marc Daniel explique que « Les banques centrales ne sont plus tenues par l’or et par ses règles, par les changes fixes et par les menaces de dévaluation. Seule l’inflation les préoccupe. […] Et, de fait, l’endettement est le travers ultime du système américain, comme la déflation était celui du système anglais ».
Conclusion : vers un retour à l’étalon-or ?
L’Homme a ainsi fait le tour de Triangle d’incompatibilité de Mundell et Fleming. Et l’on ne peut pas dire que le monde soit satisfait du fonctionnement actuel du SMI. Les Etats-Unis ont le beurre et l’argent du beurre, avec un dollar qui n’est plus lié à l’or mais vis-à-vis duquel Washington fait tout ce qui est en son pouvoir pour qu’il reste indispensable au sein du commerce international… sans pour autant se priver de le « militariser » (cf. le gel des réserves de change russes en février 2022).
Voilà pourquoi certains auteurs anticipent un retour à une forme d’étalon-or.
Il va sans dire qu’un tel scénario, s’il se confirmait, serait très haussier pour le cours de l’or, comme je vous l’expliquerai dans un prochain billet…