L’Europe semble engluée dans ses idéaux moralisants et son manque de leadership.
À l’heure où Donald Trump impose une politique américaine radicalement protectionniste et autoritaire, l’Europe semble engluée dans ses idéaux moralisants et son manque de leadership. Ce face-à-face met en lumière deux visions irréconciliables du pouvoir, du monde et de la souveraineté. Entre le pragmatisme brutal d’une Amérique en quête de grandeur et le désarroi d’une Europe permissive, se dessine le retour fracassant de l’Histoire.
Dans la République de Platon, la politique était réservée à une certaine élite : les « philosophes-rois ». Ils pouvaient diriger la cité grâce à leur sagesse. Cette minorité éclairée, détachée de ses intérêts personnels, se devait d’être guidée avant tout par la Raison et la connaissance. Ce rêve platonicien ne s’est jamais incarné, ni en Europe, ni ailleurs. L’Europe née d’anciens royaumes, persiste à faire comme si…
L’Amérique quant à elle, s’est construite comme une nation-projet. Elle est née d’une révolution inspirée par les lumières, s’est développée par la conquête et s’est imposée par le récit de sa propre exception. Sa politique d’expansion en contradiction totale avec ses pères fondateurs, s’est faite au prix d’esclavagisme, de génocides des peuples autochtones ou plus radicalement dans l’Histoire moderne par les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945…Aujourd’hui le temps des acquis est révolu comme celui des alliés historiques.
Le nouveau Président Américain affirme avoir signer 100 décrets depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2025. Surprenant ? Absolument pas. Choquant ? Non plus. Le monde avait déjà eu un avant-gout du style Trump mais les dynamiques géopolitiques de son premier mandat n’étaient pas les mêmes et l’homme d’affaires n’avait pas échappé à deux tentatives d’assassinat le positionnant plus que jamais comme une figure providentielle. Donald Trump met à exécution ses promesses électorales avec une feuille de route claire : Le « Project 2025. » Ce projet élaboré par des think tanks conservateurs vise à refonder en profondeur l’administration fédérale, renforcer l’autorité présidentielle et mener une politique ultra protectionniste. On peut facilement y voir une dérive autoritaire mais il faut reconnaitre qu’aussi clivante et brutale soit-elle, sa stratégie est redoutablement bien structurée. Les ambitions de Donald Trump pour retrouver la richesse et la grandeur de l’Amérique passent avant toutes autres considérations, déséquilibrent l’ordre mondial post guerre de 1945 et fait craindre une véritable implosion à l’intérieur même du pays. Cette implosion pourrait bien venir du malaise croissant de la classe moyenne américaine. Les hausses sur l’alimentation, le logement ou la santé étranglent les ménages ordinaires. Y aura-t-il une réindustrialisation ? Une stabilité des prix ? Du pouvoir d’achat ? Le temps nous le dira.
Mais si cette brutalité américaine était, en réalité, plus lucide que notre confort moralisant ? Elle aura au moins eu le mérite d’un réveil mondial. À l’image d’un James K. Polk (président américain de 1845 à 1849), Donald Trump a une volonté expansionniste assumée, un nationalisme fort et un mépris du consensus international. Malheureusement la différence réside dans le fait qu’au XIXe siècle, les moyens de domination étaient bien moins puissants et technologiques et le poids des Etats-Unis infiniment plus petit…Le retour du grand gendarme Américain incarné par Trump croit à sa légitimité quasi divine à imposer son ordre au monde. Cette posture impériale, dans sa cohérence brutale inquiète autant qu’elle fascine. Car si elle redonne aux Etats-Unis une stature de puissance, elle ravive aussi des fractures internes et une logique de confrontation qui menace l’équilibre mondial.
L’annonce de sa nouvelle stratégie commerciale le 2 avril 2025, a bouleversé les marchés et a semé un vent de panique dans le monde comme à l’intérieur de son pays. Ces nouvelles taxes douanières, présentées comme un acte de souveraineté économique risquent d’aggraver la pression sur les biens de consommation importés. Sa politique s’inscrit dans une défiance sans pareil vis-à vis des accords de libre-échange. 20% de droits de douane sur tous les produits européens, 34% sur les importations chinoises… Aucun partenaire, allié ou rival n’est épargné. Est-ce encore sa stratégie du chaos calculé ? Encore une provocation calibrée pour forcer l’autre à négocier sur ses propres termes ? Pour mobiliser sa base électorale ? La guerre économique est lancée, Donald Trump sait que l’UE et la Chine riposteront mais cela lui sert à nourrir son personnage du héros politiquement incorrect qui se bat seul contre un monde injuste. Il aura occupé l’espace médiatique mais surtout dirigé le récit, fixé les termes du débat et renforcé son image d’anti-système. La fracture fondamentale entre les États-Unis et l’Europe est engagée. Ces deux visions du monde sont irréconciliables : l’un veut contraindre, l’autre convaincre.
Le discours Européen est moral et celui de Trump transactionnel. A force de sacraliser hypocritement les principes des droits humains, d’adhérer à la modération et se fondre dans l’uniformité, les européens apparaissent surpris. L’Europe paye au prix fort sa naïveté et son impuissance face à des leaders assumant pleinement une vision hiérarchique du pouvoir comme Trump, Poutine ou Netanyahu . Ce contraste idéologique révèle une plus profonde faille : le vide du commandement Européen, doublé d’une perte d’influence sur la scène mondiale.
Ce manque de leadership du vieux continent mêlé à la faiblesse du mandat Biden a ouvert une brèche. La Russie, la Chine ou l’Iran ont su remplir le vide en bousculant le système international hérité du XXe siècle tout en s’affranchissant des règles. Ajouter à cette défaillance gouvernementale généralisée la montée des extrêmes, l’impuissance des institutions telles que l’ONU et la déconnexion de l’élite politique mondiale – et l’on comprend pourquoi le désordre géopolitique actuel n’est pas une surprise mais une conséquence logique.
En Europe l’immigration incontrôlée, la dépendance militaire et énergétique avec des inégalités économiques grandissantes font rage. Les peuples ont perdu confiance et semblent réclamer le retour d’une certaine autorité. Cette Europe contemporaine qui pensait éclairer le monde par ses principes s’est retrouvée prise dans son propre piège. Permissive au nom du vivre-ensemble ou de l’inclusivité, l’Europe est devenue un habillage moral pour un vide politique. Tout ce que Donald Trump déteste et combat.
Dans son analyse du cycle des régimes politiques, Platon affirme que lorsque la démocratie se dissout dans l’égalitarisme et la permissivité, le peuple finit par rejeter l’ordre pour laisser place à un tyran. Cette dynamique n’est pas qu’un souvenir théorique : elle résonne avec force dans notre modernité. Dans notre compréhension du monde actuel où la bien- pensance remplace la prudence, un chef d’état qui privilégie sa patrie est-il forcément persona non grata ? Quel est aujourd’hui le peuple qui ne voudrait pas que son chef légitime place l’intérêt national avant tout ? N’est-ce pas ce dont souffre justement l’Europe ? Il me semble que les nations se réveillent. Elles découvrent, trop tard peut être, le cout réel de la mondialisation : la perte de leur souveraineté, de mémoire et de puissance. La mondialisation censée unir les peuples a affaiblit les états et a laissé émerger un monde de blocs et de frontières à réaffirmées. Ce retour de l’Histoire, Donald Trump l’a anticipé, non pas en tant que visionnaire désintéressé mais parce qu’il sait jouer sur les peurs. Sa méthode divise, choque, dérange. Mais c’est précisément ce qui la rend si redoutablement efficace.