La Syrie à la croisée des chemins

Pendant un demi-siècle de règne, le régime de la famille Assad semblait indestructible grâce à son système infaillible de tortures.

La Syrie à la croisée des chemins
World
Jan 9, 2025
Par 
Roula Merhej

Enfant, deux évènements majeurs m’ont marqué. La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 et l’exécution de Nicolae Ceausescu filmée et passée en boucle sur toutes les chaines. Même si je ne réalisais pas l’ampleur historique, j’arrivais à en saisir l’importance à cause de l’attention portée par mes parents aux informations. La fascination face à la chute de l’un des derniers dictateurs communistes en Europe leur donnait espoir. Espoir de voir un jour Hafez el Assad déchu et la Syrie libérée. Le silence était de rigueur. Je venais de comprendre la peine de l’exil pour mon père. Pour ma part, j’étais arrivée en France à l’âge de deux ans, et la France était devenue la mère patrie.

La Syrie m’était contée et le Liban me faisait rêver. J’avais toujours eu cette sensibilité, ce penchant pour le Liban. Victime de ses conflits internes et de ses voisins, le Liban en paye encore le lourd prix. Stratège diabolique, Hafez el Assad a su saisir l’opportunité d’appel à l’aide du Liban qu’il décidera d’occuper en installant ses pions. La corruption Syrienne mise en place au Liban alla jusqu’à l’élimination systématique d’opposants. Bachir Gemayel élu et assassiné en 1982 quelques jours après son élection. René Moawad élu président Libanais en 1989 et assassiné quinze jours après son élection. Gébran Tuéni, une des plus grandes voix de l’opposition Syrienne, député et à la tête du quotidien Libanais, Al Nahar, assassiné en 2005. Pour ne citer qu’eux.

Pendant un demi-siècle de règne, le régime de la famille Assad semblait indestructible grâce à son système infaillible de tortures, d’emprisonnement arbitraire, de disparitions et d’espionnage par ses services secrets, les fameux « Moukhabarat ». Voulant véhiculer une image de protecteur de la minorité Chrétienne de Syrie dont je fais partie, c’est un clergé enrayé et obéissant qui avait été mis en place. Un patriarcat espion par peur de représailles à la solde de Assad et de sa propagande.  

La révolution Islamique d’Iran en 1979 qui avait mis en place l’ayatollah Khomeini (avec l’aide des États Unis) allait accomplir la stratégie rêvée de l’idéologie chiite. Avec la création du Hezbollah durant la guerre civile Libanaise en 1982 ainsi que l’invasion de l’Irak en 2003, l’axe chiite se renforçait. Le Moyen-Orient en proie au bras de fer des communautés sunnites-chiites voit surtout s’afronter sur l’échiquier international les USA et la Russie.

Les années passent, le régime syrien reste inébranlable, plus fort que jamais. Un temps courtisé par l’occident, en apparence réformateur, Bachar el Assad (réfugié à Moscou depuis la prise de Damas par les rebelles et confirmé par les autorités russes) s’est avéré être le digne héritier d’une des dictatures les plus dures de l’histoire moderne. Devenu le plus important producteur de la cocaïne du pauvre, le captagon (la drogue des djihadistes), l’ancien étudiant en médecine Bachar el Assad nommé « le boucher de Damas » dépassa contre toute attente son maître, Hafez el Assad. Cet état narcotrafiquant qui d’après le gouvernement britannique aurait généré  plus de 56 milliards de dollars , aura permis le financement de son régime durant la révolution.   

Porté par le printemps arabe qui avait vu successivement tomber les régimes de Ben Ali, Kadafi et Moubarak, le mouvement de contestation à Daraa dans le sud de la Syrie en mars 2011 a été violemment réprimé. La naissance de plusieurs mouvements armés de libération servira d’infiltration à l’État Islamique et au mouvement terroriste d’al Qaïda.

Plus d’une dizaine d’années après une révolution Syrienne plus ou moins continue, l’AFP dénombrait cinq cent mille morts et des milliers de prisonniers dans les geôles du régime. Face à l’oppression et aux combats, des millions de réfugiés syriens avaient fui le pays, posant un problème de taille au Liban (un million trois cent mille de déplacés) et à la Turquie (trois millions de déplacés). 

Il paraît maintenant évident que les attaques terroristes du 7 octobre 2023 menées par le Hamas (commanditées et financées par l’Iran) ont précipité la région dans un changement de stratégie radicale de la part d’Israël et de ses alliés. Israël mettant à genoux militairement le Hezbollah, bras armé de l’Iran, aura réussi à couper la Syrie de ces précieux combattants. La Russie quant à elle, son alliée historique, se retrouve affaiblie et embourbée dans la guerre en Ukraine.

En onze jours seulement, la plus puissante force armée de la résistance Syrienne, Hayat Tahrir Al Sham, menée par Abu Mohamed Al Joulani, a pris les villes clés d’Alep, Hama, Homs et enfin Damas avec une facilité déconcertante sans aucune résistance de l’armée syrienne. Quelle que soit l’issue de cette prise de pouvoir, personne ne peut rester insensible à la libération d’un peuple ayant subi exactions, tortures et massacres. Une vulnérabilité qui a toute ses chances d’être exploitée sur un peuple ignorant tout d’une démocratie et qui vouera une reconnaissance à ses nouveaux libérateurs.

Abu Mohamed Al Joulani personnage tactique ou sincère ? Ayant fait ses débuts auprès de Al Qaïda après l’invasion en Irak de 2003, il quitte l’État Islamique pour fonder son parti le front Al Nosra, le HTS actuel. Ce dernier assume pleinement ses convictions islamistes mais marque une rupture avec la ligne des intégristes faisant appel au Djihad en Occident comme aiment à le rappeler les médias occidentaux. Un djihad local le rendrait moins menaçant ou serait moralement plus acceptable? Le discours plus modéré se veut rassurant auprès des minorités Chrétiennes ou Kurdes. Bluff opportuniste ou pragmatisme ? Pourtant, à l’heure de l’extrême rapidité de l’information, des vidéos sur les réseaux sociaux circulent illustrant les agissements d’un état islamique qui s’installe. Israël voudra-t-elle d’un pays voisin « modérément » islamisé ?

Espérons que les scènes de joie du peuple Syrien ne laisseront pas la place à une nouvelle forme de dictature islamiste et rigoriste.  Nous en avons eu l’exemple amer avec la Tunisie, la Libye ou l’Égypte avec Morsi. Aujourd’hui, la Syrie libérée d’un régime kleptocrate et autoritaire qui a duré près d’un demi-siècle, se retrouve à la croisée des chemins. Y verrons-nous le théâtre d’affrontements interne ?

Véritable séisme géopolitique et au-delà du sort Syrien, c’est bel et bien l’avenir de toute la région qui se joue avec deux certitudes. D’une part, les Etats-Unis qui affirment plus que jamais leur hégémonie et leur indéfectible lien avec Israël. D’autre part, la chute de l’axe Iranien « de résistance » avec l’affaiblissement de la Russie. Ces évènements arrivent au moment où Donald Trump vient d’être réélu et où les multiples déclarations de Netanyahou parlent d’un « nouveau Moyen-Orient. »  

Serait-ce le début d’une nouvelle ère dans la région à laquelle nous assistons ? Dans un monde idéal, un Iran vacillant avec un peuple insoumis appelant au soulèvement et à la décapitation des mollahs, une Syrie libérée et unifiée, un Liban enfin souverain et une solution à deux états pour la guerre en Israël ? L’extension des terres Israéliennes comme nous l’assistons dans le Golan ? Ou serait-ce le début d’un long et pénible découpage en petits états abritant chacun les différentes minorités au prix encore de sang de milliers de civils versé ? Il est encore trop tôt pour se prononcer, pour le moment rien n’entravera l’euphorie de la libération.

Le 8 décembre 2024, assise avec mes parents, trente-cinq ans après la chute de la dictature Roumaine, les statues de fer de Hafez el Assad sont détruites et piétinées…les prisons libérées. Face à ces images, je pense au poème de Khalil Gibran, « On dit qu’avant d’entrer dans la mer, une rivière tremble de peur…Ce n’est qu’en entrant dans l’océan que la peur disparaîtra, parce que c’est alors seulement que la rivière saura qu’il ne s’agit pas de disparaitre dans l’océan, mais de devenir océan. »

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